New York

Femme sous influence

Le MoMA consacre Cindy Sherman, infatigable contemptrice de la vulnérabilité féminine.

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 9 mai 2012 - 433 mots

NEW YORK - De Cindy Sherman on a déjà tout dit ou presque : la femme caméléon seul et unique modèle de son travail ; l’interrogation des identités et la possibilité de leur construction ; la mise en scène des stéréotypes sociaux et de conventions prises à rebours lorsqu’elles traitent de la mode ou du portrait historique ; la nature artificielle de la photographie, encore renforcée par l’usage de la retouche informatique…

Entre réalité et fantasme, vrai et faux, l’artiste américaine a démultiplié sa propre image sans jamais se représenter, car bien que modèle de plusieurs centaines de ses clichés, elle n’en a, par le truchement du jeu de rôle et des accessoires, jamais été le sujet. Une démultiplication en marche dès les travaux séminaux, dont témoignent deux inédits collages exécutés en 1976 à partir de figurines découpées et assemblées en frise. De même qu’un court film tout aussi inédit, de 1975, qui montre l’artiste habillée et dénudée comme s’il s’agissait de jouer à la poupée.

Le macabre et le grotesque
Organisée par le Museum of Modern Art, à New York, la rétrospective consacrant son travail est réussie car elle évite le déroulement chronologique pour privilégier des confrontations d’œuvres. Celle-ci affirme la constante préoccupation d’une construction de l’image toujours envisagée à la fois visuellement et socialement, tout en mettant l’accent sur une certaine violence du regard porté sur la condition féminine.
Si quelques rares salles du parcours privilégient des ensembles – à l’instar de la remarquable réunion des soixante-dix « Untitled Film Stills » (1977-1980) ou celle consacrée aux « Head Shots Series » (2000-2002) révélant le pathétique de portraits soumis au désarroi d’une illusoire quête de perfection, où rien ne sonne juste –, la plupart confrontent des œuvres issues de séries distinctes. Nombre de clichés se revendiquent fortement narratifs ; en s’intéressant à l’imaginaire tant cinématographique (Centerfolds, 1981) que lié au conte ou à la fable (avec des Fairy Tales [1985] tournant à l’horreur et les Disasters [1985-1986] aux corps désintégrés laissant la place à des prothèses) ils font glisser le regard d’une tension latente vers le macabre et le grotesque, et basculer ainsi d’une violence psychologique à une forme d’atteinte physique.
À travers l’exploration du genre et de l’identité de classe, c’est finalement une vulnérabilité que donne à voir l’artiste, y compris dans les Society Portraits (2008) de bourgeoises tentant de se donner de l’assurance et d’affirmer puissance et séduction. De tous côtés, la femme dépeinte par Cindy Sherman apparaît être une femme sous influence.

CINDY SHERMAN
- Commissariat : Eva Respini et Lucy Gallun, MoMA
- Nombre d’œuvres : environ 170

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°369 du 11 mai 2012, avec le titre suivant : Femme sous influence

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