Fondation Cartier

Une leçon d’humanisme

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 12 mai 2006 - 654 mots

Déployée en grand au Musée d’art contemporain de Tokyo, la collection de la Fondation Cartier pour l’art contemporain se révèle particulièrement attentive à la condition humaine.

TOKYO - C’est dans un grand bâtiment minéral de pierre et de verre que la collection de la Fondation Cartier pour l’art contemporain s’offre au public pour la première fois dans toute sa dimension. Musée récent situé dans un quartier un peu excentré de Tokyo, mais qui attire de plus en plus de galeries d’art, le MOT (Museum of Contemporary Art, Tokyo) accueille aujourd’hui sur 4 000 m2 une sélection d’œuvres issues de la collection de la fondation française. « Nous voulions à Tokyo raconter la Fondation », nous a déclaré Hervé Chandès, directeur de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, pour expliquer sa sélection. « Sauf exception, toutes les œuvres que nous montrons sont exposées pour la première fois au Japon. Nous souhaitions laisser la place à des pièces ou des artistes peu connus là-bas. » Et de fait, des créateurs locaux comme Hiroshi Sugimoto, dont l’institution possède pourtant un bel ensemble, ont été écartés. La Fondation a toujours tissé des liens étroits avec le Japon et l’exposition en rend compte avec le formidable mur de 3 262 Polaroïds de Daido Moriyama, le slide show de Rinko Kawauchi ou les deux peintures de la jeune Erina Matsui, découverte l’an dernier avec l’exposition « J’en rêve ». Les artistes français n’ont pas non plus été oubliés, à l’exemple d’Alain Séchas, de Marc Couturier, Jean-Michel Alberola, Jean-Michel Othoniel, Raymond Hains ou Raymond Depardon.

Dans un accrochage très clair et non avare en espace pour les œuvres, pour que « l’œil reprenne son souffle » selon les mots du directeur, la présentation alterne pièces historiques, comme Box (ahhareturnabout) (1977), de James Coleman, ou Table Piece (1975), de Dennis Oppenheim, et d’autres commandées par la Fondation, notamment à l’occasion d’expositions. L’ensemble offre ainsi un écho bienvenu aux manifestations qui ont rythmé ces dernières années le bâtiment de Jean Nouvel, boulevard Raspail, à Paris, de l’avion Kelvin 40 de Marc Newson – face au sous-marin de Panamarenko – aux multiples créations réalisées pour l’exposition « Yanomani, l’esprit de la forêt » en 2003 : œuvres de Claudia Andujar, Tony Oursler et Raymond Depardon. La collection accueille aussi des figures singulières et rares, comme David Hammons, Vija Celmins ou le cinéaste arménien Artavazd Pelechian. Dans son dispositif, l’exposition de Tokyo n’a pas eu peur de mélanger allègrement les créations d’artistes plasticiens et de designers, sans pour autant créer de fossé. Les réalisations des designers sont d’ailleurs plus proches de l’œuvre d’art que de l’objet fonctionnel, à l’instar des pièces d’Alessandro Mendini. « Le regard glisse facilement d’une œuvre à l’autre, souligne Hervé Chandès. Par exemple, l’avion de Marc Newson a trouvé naturellement sa place. Il n’y a pas de compartiments. »

Vies, désirs, souffrances…
Au gré des salles, la collection de la Fondation Cartier dévoile toute son originalité, loin des playlists des conseillers des grands collectionneurs, loin aussi des modes et du marché. Elle semble se construire dans un ailleurs, mais un ailleurs  attentif à quelques grandes figures de notre temps, quitte à les accompagner sur la distance pour construire avec elles un véritable échange. L’ensemble apparaît en définitive d’une étonnante communauté – si ce n’est toujours plastique, du moins d’esprit.
Surtout, et sans que cela n’ait semble-t-il été théorisé, la collection Cartier pour l’art contemporain se révèle extraordinairement attentive aux hommes, à leurs vies, leurs désirs, leurs souffrances, leurs aspirations… Évidentes dans les œuvres déjà citées autour des Yanomani, ces préoccupations ponctuent l’ensemble du parcours de l’exposition, de la Ballade of Sexual Dependancy de Nan Goldin aux œuvres de Kentridge, Séchas, Ron Mueck, Chéri Samba ou même Adriana Varejão. Une belle leçon d’humanisme !

COLLECTION DE LA FONDATION CARTIER

- Commissaire : Hervé Chandès - Nombre d’artistes : 32 - Nombre d’œuvres : env. 70 - Mécène : Cartier - Sponsor principal : BMW

COLLECTION CARTIER AT THE MOT

Jusqu’au 2 juillet, Museum of Contemporary Art, Metropolitan Kiba Park, 4-1-1 Myoshi, Koto-ku, Tokyo, Japon, tél. 81 3 6825 3330, tlj sauf lundi 10h-18h, www.mot-art-museum.jp

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°237 du 12 mai 2006, avec le titre suivant : Une leçon d’humanisme

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