Monographie

Paul Rand, pionnier du graphisme moderne

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 26 mai 2006 - 787 mots

Les éditions Phaidon retracent le parcours de l’homme qui a révolutionné la publicité.

À moins d’habiter sur une autre planète, on ne peut pas ne pas avoir vu, ne serait-ce qu’une fois, le logo de la firme américaine IBM : trois lettres rayées, en noir et blanc. Il a été créé en 1962 par le graphiste Paul Rand (1914-1996). Et savez-vous pourquoi ce dernier a mis au point cette typographie faite de zébrures ? La raison en est simple. Rand avait remarqué un certain déséquilibre dans la succession des lettres du sigle, entre la plus étroite, le « i », et la plus large, le « m ». Pour pallier cet inconvénient, il a opté pour des rayures, ce qui a eu pour effet immédiat d’alléger en particulier la lettre la plus massive, le « m ». La lecture pouvait alors s’effectuer sans pause rythmique à travers un ensemble stable et harmonieux. Ce qui ressemble à un petit tour de passe-passe typographique n’est en fait qu’une démonstration de l’immense talent de Paul Rand. C’est Steven Heller, directeur artistique du New York Times Book Review et codirecteur du département Design de la School of Visual Arts de New York, qui rapporte l’anecdote dans le livre qu’il consacre à ce maître dans l’art du jeu visuel, également considéré comme le père du graphisme moderne.
L’épopée de Paul Rand est des plus glorieuses et pourrait se résumer comme suit. Années 1930 : « Fait entrer l’art publicitaire dans l’ère du professionnalisme. » Années 1940 : « Modifie durablement l’esthétique publicitaire et la conception des couvertures de livres et de magazines. » Années 1950 : « Révolutionne l’identité graphique des entreprises et joue un rôle majeur dans la communication d’entreprise aux États-Unis. » Enfin, années 1960 : « Introduit dans le champ de la publicité américaine l’art moderne européen et crée quelques-uns des logos les plus célèbres du monde. » Un parcours sans faute, que Steven Heller retrace en cinq chapitres suivant de façon quasi chronologique la vie de Rand : ses débuts (« Le jeune directeur artistique »), la publicité (« Madison Avenue et le modernisme »), l’édition (« Le principe de jeu à l’œuvre »), l’identité d’entreprise (« De l’intérêt commercial d’un graphisme de qualité ») et ses livres (« L’essayiste »). L’ouvrage est d’autant plus passionnant que l’auteur a rencontré à maintes reprises Paul Rand de son vivant. De plus, outre sa compagne – Marion Swannie Rand –, nombre des amis et collègues du graphiste ont répondu aux interrogations de Steven Heller. Résultat : une biographie très vivante et truffée de détails.

Apport révolutionnaire
On peut presque dire qu’il y a un « avant » et un « après » Paul Rand. Auparavant, les publicités étaient rarement conçues comme un tout. Or, pour Rand, fervent adepte de l’Allemand Jan Tschichold, théoricien de la « Nouvelle Typographie », « la composition d’une publicité relève fondamentalement du design : le message est véhiculé à la fois par le texte et l’image associés dans une mise en pages signifiante ». Dès 1938, le journaliste Percy Seitlin écrit dans PM, magazine majeur sur les arts graphiques aux États-Unis : « Nulle tradition n’entrave Paul Rand. Son style n’est pas stéréotypé parce que chaque projet est nouveau et exige une solution qui lui corresponde. Rien de laborieux ou de contraint par conséquent dans son travail. »
Campagnes publicitaires pour le grand magasin Ohrbach’s ou pour les havanes El Producto – dont un cigare est devenu un personnage de bande dessinée –, couverture du livre Dada de Robert Motherwell et jaquette « trouée » de l’ouvrage Leave Cancelled de Nicholas Monsarrat, magnifiques livres pour enfants – dont le célèbre Little 1 –, logos d’UPS, d’ABC ou de Westing-house…, Paul Rand allie sens, image et typographie avec une rare élégance. « Il apportait des idées et une intelligence de la pratique publicitaire là où, avant lui, il n’y avait pas l’ombre d’une pensée », estime Onofrio Paccione, l’un de ses anciens collègues de travail au début des années 1950. Rand n’a pas 40 ans que sa réputation est faite. À preuve, cette annonce parue en 1953 dans le New York Times et le New York Herald Tribune : « Recherchons directeur artistique moderne et créatif. Sans être un Rand, il saura imprimer sa marque au département artistique. »
On l’aura compris, l’importance historique de Paul Rand ne se limite pas à son apport révolutionnaire à notre langage visuel. Son livre Thoughts on Design [Réflexions sur l’art graphique], paru en 1946 aux éditions Wittenborn Schultz, fera d’ailleurs autorité auprès de ses pairs. « Être moderne, disait Rand, ce n’est pas une mode, c’est un état. »

STEVEN HELLER, PAUL RAND, éd. Phaidon, 256 p., 59,95 euros, ISBN 0-71485-815-3

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°238 du 26 mai 2006, avec le titre suivant : Paul Rand, pionnier du graphisme moderne

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