Marché

Confusion des genres

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 23 juin 2006 - 607 mots

Le rachat de la galerie Noortman par Sotheby’s provoque l’émoi des marchands d’art ancien.

Après l’achat en 1993 par Christie’s du spécialiste en numismatique Spink’s, un nouveau chapitre dans la confusion des rôles s’ouvre avec l’annonce le 8 juin de l’acquisition par Sotheby’s de 100 % des actions, des locaux et du stock de la galerie de tableaux anciens Robert Noortman. En échange, le marchand de Maastricht obtient 3,2 % des actions de la maison de ventes (44 millions d’euros) et voit sa dette d’environ 26 millions de dollars épongée. « Je cherchais depuis cinq ans un moyen de continuer à étendre mon affaire, explique le marchand qui a ouvert sa galerie en 1968. J’ai essayé sans succès de nouer deux partenariats avec des amis. J’ai souvent travaillé avec Sotheby’s pour des transactions privées, notamment la vente des collections de Joseph Ritman. Je suis allé les voir en début d’année. Ils ont trouvé ma proposition intéressante. Ils veulent faire des transactions privées de temps à autre, mais le font rarement, car ils n’ont pas l’expertise. C’est un deal dans lequel tout le monde est gagnant. » Promu membre du conseil consultatif de Sotheby’s, Noortman espère détenir d’ici trois à quatre ans 4,9 % de Sotheby’s. Il entend aussi développer au sein de la galerie Noortman un secteur art contemporain, ce avec son fils William, qui est salarié depuis un an et demi chez Sotheby’s et qui le rejoindra l’année prochaine.

Conflit d’intérêts
Cette nouvelle a fait l’effet d’une douche froide parmi les marchands de tableaux anciens. « Il y a un conflit d’intérêts, souligne un marchand londonien. Est-il possible de garder encore à l’entrée de Tefaf (la foire d’antiquaires de Maastricht), dans le meilleur emplacement, une galerie qui appartient en fait à une maison de ventes, même si Noortman est l’un des pères fondateurs du salon ? » L’intéressé a récemment quitté le comité exécutif de Tefaf, mais reste dans le conseil d’administration et compte bien participer l’an prochain à la foire. « Mes confrères sont encore inquiets, mais aucun membre de l’équipe de Sotheby’s ne viendra interférer dans mon business, assure-t-il. Je suis le même Robert Noortman qu’avant et j’achète les tableaux que je veux. » Le marchand est d’ailleurs convaincu que ses collègues continueront à acquérir en compte et demi avec lui, comme ce fut le cas une semaine après l’annonce de la fusion.
Si le monde de l’art ancien est en émoi, celui du moderne et contemporain reste tempéré. Ce dernier a pourtant été choqué en 1996, lorsque Sotheby’s rachète la galerie new-yorkaise Andre Emmerich – alors exclue d’Art Basel –, ou, l’année suivante, quand elle prend 50 % de parts dans la galerie de Jeffrey Deitch. « Il y a dix ans, on avait peur que les maisons de ventes investissant dans les galeries aillent directement chez les artistes pour obtenir des pièces. C’est déjà chose faite, observe Lorenzo Rudolf, ancien directeur de la Foire de Bâle. Les temps ont changé. On s’achemine vers des holdings chapeautant galeries et maisons de ventes, des “global players”. Les salons vont même sans doute s’ouvrir aux marchands privés qui n’ont pas de galerie. » Ainsi la galerie de Pury & Luxembourg à Zurich, entité théoriquement séparée de la maison de ventes Phillips, n’exclut-elle pas de participer à l’avenir à des foires. « À l’époque d’Emmerich, les marchands qui criaient le plus fort se faisaient financer leurs achats par les maisons de ventes, rappelle Simon de Pury, propriétaire de Phillips. Les frontières entre activité de galerie et de maison de ventes sont de toute manière artificielles. Arrêtons l’hypocrisie et approuvons que les choses se fassent ouvertement ! »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°240 du 23 juin 2006, avec le titre suivant : Confusion des genres

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