Entretien

Alexis de Tiesenhausen, directeur international du département d’art russe chez Christie’s

« Le marché de l’art russe se régularise »

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 23 juin 2006 - 713 mots

 Les ventes d’art russe semblent s’emballer depuis deux ou trois ans. S’agit-il d’un nouveau phénomène ?
Le marché de l’art russe a toujours été significatif pour des maisons de ventes comme Christie’s. Notre département d’art russe s’est monté dans les années 1970 à Genève. Naguère, le marché de l’art russe était seulement plus discret avec une clientèle très spécialisée dans ce domaine. Et il n’y avait pas encore d’acheteurs russes. Ces dernières années, tout a changé. Le domaine des arts décoratifs avec les objets Fabergé a été supplanté par les tableaux russes achetés essentiellement par des collectionneurs russes. Cette partie du marché de l’art est devenue plus visible et médiatique. Les médias parlent aujourd’hui plus facilement d’un grand tableau peint par Ivan Aïvazovski ou Isaac I. Lévitan, qui atteint 1 million de livres sterling (1,465 million d’euros), que d’un petit cochon en pierre dure produit par les ateliers Fabergé.

Comment ce marché a-t-il migré vers Londres et New York ?
La place de Genève, qui était la coqueluche des ventes spécialisées d’art décoratif russe, s’est tranquillement éteinte à la fin des années 1990, après une enchère triomphale de 7,2 millions de francs  suisses (4,6 millions d’euros) chez Christie’s en 1994 pour l’Œuf de l’hiver de Fabergé, un record absolu à l’époque pour un objet d’art russe. Le département d’art russe a ensuite pris son envol à New York avec les plus belles ventes Fabergé de ces dix dernières années : les collections Kazan, Portanova ou Forbes. Le point de départ de cet engouement aux États-Unis a été la grande exposition itinérante sur les objets Fabergé. Elle a démarré en 1996 au Metropolitan Museum of Art à New York et a mis le feu aux poudres. En 2002, le département d’art russe à New York a réalisé un chiffre d’affaires de 20,8 millions de dollars (16,5 millions d’euros), incluant la vente pour 9,7 millions de dollars de l’Œuf de l’hiver.
De son côté, Londres s’est érigée en lieu de prédilection de la vente de tableaux russes. La semaine d’art russe régulièrement programmée au mois de novembre à Londres est devenue un must pour les collectionneurs russes ou ukrainiens. Privilégiant la qualité à la quantité, elle a vu ses résultats s’accroître de façon fantastique d’année en année.

Ce marché explose-t-il ?
Je ne vois pas pour le moment une surchauffe, mais plutôt un marché qui se régularise. Un tableau russe surestimé par rapport à sa cote ne se vend pas. L’acheteur russe est maintenant très informé du marché. Les derniers résultats en ventes publiques, avec des prix exceptionnels justifiés par une qualité exceptionnelle, révèlent une politique d’achat orientée vers la recherche de qualité.

Mais comment expliquer cette succession de records ?
Il faut être honnête, le marché du tableau russe se découvre lui-même continuellement. Délaissés et sans cote, des artistes russes géniaux sont tombés dans l’oubli il y a des années. Timidement, et parfois d’une façon incongrue, leurs œuvres apparaissent sur le marché pour atteindre des records mondiaux. Alors que personne n’en voulait dix ans auparavant. Zinaida Serebriakova en est le meilleur exemple : à New York au mois d’avril, un nu féminin a atteint la somme colossale de 1,2 million de livres (953 000 euros), alors qu’une telle peinture se vendait difficilement aux alentours de 6 000 livres (8 800 euros) il y a vingt ans.

Que pensez-vous de la Foire des antiquaires de Moscou ?
Le dernier salon des antiquaires à Moscou prouve qu’il existe un goût propre aux Russes qui s’impose indépendamment du goût international. Critiqué par les journalistes européens, ce salon a néanmoins attiré nettement plus d’acheteurs potentiels russes et d’expatriés que l’an passé. Les marchands européens se sont adaptés à cette clientèle russe, et non le contraire, comme dans les salons d’antiquaires européens.

Vous êtes vous-même d’origine russe. Êtes-vous un passionné d’art et d’histoire russe ?
Oui, j’ai récemment découvert un lot de photos inédites, historiques et extrêmement rares car jamais publiées, que je cherchais depuis cinq ans. Elles représentent l’arrivée des députés russes sur le front au régiment Préobrajenski, premier régiment de la Garde impériale en février 1917. Les photos parlent d’elles-mêmes : des officiers épuisés par les vicissitudes de la guerre, muets et consternés par le tournant politique du moment, se trouvent face à des députés en costume et mal à l’aise.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°240 du 23 juin 2006, avec le titre suivant : Alexis de Tiesenhausen, directeur international du département d’art russe chez Christie’s

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