Design

La beauté oubliée des objets simples

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 7 juillet 2006 - 770 mots

Les éditions Phaidon consacrent un volume à l’Allemand Konstantin Grcic, l’un des designers les plus captivants du moment.

Konstantin Grcic est un être discret. Sur la couverture de l’ouvrage qui lui est (enfin) consacré, quinze ans après avoir ouvert sa propre agence, il est juché sur son vélo, laissant la vedette à un exemplaire de sa fameuse chaise One qu’il tient à bout de bras. Le designer allemand n’aime pas s’afficher, soit. Mais est-il quelqu’un de raisonnable ? On pourrait en douter lorsque, sur la première double page, il apparaît, manettes de contrôle en main, en train de jouer avec les petites voitures d’un circuit automobile. Pas très sérieux penseront les grincheux, et pourtant… Pris dans son agence, à Munich, le cliché rompt avec l’image du créateur inaccessible et le glisse aussitôt dans la catégorie des individus palpables, et modestes. Ils sont rares.

Rôle du prototype
Le livre, baptisé KGID, Konstantin Grcic Industrial Design, est truffé de croquis à main levée, de dessins d’ordinateur et autres rendus 3D. S’intercalent aussi moult photographies de séances de travail ou de mises au point en usine. En regard des objets inanimés, elles apportent ce petit zeste d’âme, comme si Grcic tenait à tout moment à rappeler que, derrière chaque aventure, une équipe œuvre de concert et que lui-même ne détient pas seul la clé d’un projet. Au fil des pages défilent une multitude de pièces. Des moins connues, tels ce prototype de vélo ou le bureau sur roulettes Prado (SCP), aux plus emblématiques, évidemment : la série de petites tables d’appoint Diana, la chaise Mars et le fauteuil Chaos (ClassiCon), la lampe Terra (Proto Design), le vase Glove (CorUnum), le pouf Osorom (Moroso)… La chaise One (Magis), en aluminium moulé, y est décryptée en détail (« L’un des projets les plus excitants de ma carrière », dixit Grcic). De même sa géniale lampe baladeuse Mayday (Flos), grâce à laquelle il a décroché, en 2001, un Compasso d’Oro, la plus haute distinction italienne en matière de design (lire le JdA no 172, 30 mai 2003, p. 6). On découvre aussi son penchant, moins notoire, pour la scénographie. En témoignent notamment deux belles expositions : l’une sur les objets quotidiens de Goethe (à la Maison de Goethe à Rome en 2001), présentant une série de 65 boîtes semi-ouvertes et hautes sur pattes ; l’autre, intitulée « White Noise », conçue pour le musée Haus der Kunst à Munich (2004), à partir d’un carambolage, sur une longueur de 27 mètres, de tables et de bancs de bois blanc.
Nombre de croquis sont couverts de chiffres, la précision étant à n’en pas douter l’une des caractéristiques majeures de l’esthétique Grcic : « Dans mon travail, les chiffres disent parfois davantage que les mots, confie le designer. Je peux lire une liste de nombres comme un dessin en trois dimensions. » Les maquettes grandeur nature ont elles aussi un rôle primordial à jouer, « le premier test sérieux pour un dessin », selon Grcic. « Un prototype en carton peut en dire davantage sur la vraie identité d’un dessin qu’une photographie léchée du produit fini », estime le photographe et directeur artistique Florian Böhm, qui a conçu le livre conjointement avec le designer. Ainsi avec cette collection de produits – machine à café, grille-pain, micro-ondes, bouilloire, mixer… – imaginée pour la marque Krups. Les modèles, réalisés en carton, en mousse ou en prototypage rapide, montrent clairement l’évolution de la forme au fur et à mesure de l’avancement du projet. Ils expriment, en outre, le désir de Grcic de s’inscrire coûte que coûte dans l’outil industriel. « J’adore visiter les usines, explique-t-il, écouter le bruit assourdissant des grosses machines, les regarder cracher une pièce après l’autre, toutes parfaitement identiques. C’est beau de voir un objet répété en série. J’adore l’idée de multiplication. »
Avec des mots simples, Konstantin Grcic relate la conception de chaque projet. À travers ses histoires d’objets, transpire la façon dont il pense les processus de fabrication, dont il envisage le design. « Quand je dessine, dit-il, cela m’aide de penser à un type de personne, une sorte d’utilisateur imaginaire. Je ne le fais pas de manière abstraite. La personne à laquelle je pense est réelle. C’est quelqu’un que je connais, un ami, quelqu’un avec un caractère, une attitude. Le design est en rapport avec les gens. Toujours. »
En 1997, feu Achille Castiglioni l’avait consacré « designer le plus prometteur de la jeune génération ». À 41 ans, Konstantin Grcic est assurément l’un des plus prolixes et des plus captivants du moment.

Kgid, Konstantin Grcic Industrial Design, éditions Phaidon, 240 pages, en anglais, 69,95 euros, ISBN 0-7148-4431-4.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°241 du 7 juillet 2006, avec le titre suivant : La beauté oubliée des objets simples

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