Livre

Architecture

Le mysticisme de l’architecte

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 8 septembre 2006 - 546 mots

Le Seuil réédite le seul roman écrit par Fernand Pouillon, une plongée singulière dans le quotidien des bâtisseurs du Moyen Âge.

En 1965, l’architecte Fernand Pouillon (1912-1986) publie un livre sans équivalent, intitulé Les Pierres sauvages. Celui-ci fait aujourd’hui l’objet d’une réédition dans un volume relié et illustré. L’architecte de la reconstruction du Vieux-Port de Marseille est alors au creux de la vague et purge une peine de prison après avoir été condamné pour abus de biens sociaux dans un scandale immobilier. De sa cellule, il rédige deux textes : Les Pierres sauvages puis Mémoires d’un architecte, publiées en 1968, qui font office de mise au point sur l’affaire qui l’a menée derrière les barreaux. D’un genre très différent – la « chronique-fiction » –, le premier obtient la reconnaissance du milieu littéraire et se voit décerné en 1965 le prix des Deux-Magots.
Le livre nous replonge au cœur du XIIe siècle par l’intermédiaire du témoignage fictif du moine Guillaume, le maître d’œuvre de l’ordre de Cîteaux qui est intervenu sur plus de 360 chantiers d’abbayes au travers l’Europe. Au seuil de sa vie et de sa carrière, alors que la maladie l’amoindrit physiquement, le moine relate la dernière mission que l’ordre lui a confié : la construction, sur un terrain rocailleux et raviné, de l’abbaye du Thoronet, en Provence. Jour après jour, le héros consigne les aléas d’un chantier qu’il tente de rationaliser, malgré la faiblesse des moyens financiers alloués à sa construction car, selon les vœux de Bernard de Clairvaux, mentor de l’ordre monastique, l’architecture doit répondre aux principes de simplicité et de pauvreté. Guillaume décrit par le menu l’aventure collective menée par ces moines aidés de quelques professionnels laïcs, tous tombés dans l’oubli. Son texte est animé par les doutes, par la crainte, mais aussi par l’émotion liée aux drames humains vécus sur le chantier.

Réflexion sur le métier
La chronique de Guillaume est aussi l’occasion d’une réflexion sur le métier où se dessine en creux la propre pensée de Pouillon. Comment, en effet, ne pas y voir l’ombre de l’architecte qui, après avoir été l’assistant d’Auguste Perret – « l’homme du béton armé », –, fut le promoteur de la réhabilitation de la pierre structurelle dans l’architecture ? Du récit détaillé de la difficulté à extraire et à tailler la pierre de qualité médiocre trouvée sur place – que les contingences économiques lui imposent d’exploiter –, mais aussi de sa volonté utopique à mettre en œuvre ce matériau comme la plus belle des pierres de taille, émane une véritable jubilation. « Nous, moines cisterciens, ne sommes-nous pas comme ces pierres ? s’interroge Guillaume. Arrachés au siècle, burinés et ciselés par la Règle, nos faces éclairées par la foi, marquées par nos luttes contre le démon ? … Entrez dans la pierre, et soyez vous-mêmes comme des pierres vivantes pour composer un édifice de saints prêtres. »
Fruit d’un travail très documenté sur le chantier médiéval, ce roman tisse l’image d’un architecte mystique, à l’opposé de l’idéal laïc du bâtisseur démiurge de la renaissance. Pour le moine Pouillon, animé par la conscience de sa propre faiblesse, l’art de bâtir relève au contraire de la profession de foi.

Fernand Pouillon, Les pierres sauvages, Éditions du Seuil, 288 p., 50 ill., 45 euros, ISBN 2-02-89835-7

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°242 du 8 septembre 2006, avec le titre suivant : Le mysticisme de l’architecte

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