Chagall

Pari gagné à Baden-Baden

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 8 septembre 2006 - 517 mots

Avec beaucoup d’argent et un œil averti, il est encore possible de réussir une exposition sur le peintre russe.

 BADEN-BADEN - Le titre de la manifestation, « Chagall (1887-1985). Dans une nouvelle lumière », pouvait sembler présomptueux après la grande synthèse consacrée à l’artiste en 2003 au Grand Palais, à Paris. Pourtant, la visite de cette rétrospective organisée dans le nouveau Musée Frieder-Burda à Baden-Baden (Allemagne), sous la houlette de Jean-Louis Prat, ancien directeur de la Fondation Maeght, se révèle être une agréable surprise. La réussite est liée, d’une part, à la qualité des espaces livrés en 2004 par l’Américain Richard Meier. Ici l’architecture n’est pas révolutionnaire, mais elle sert son objet, la peinture, qu’affectionne particulièrement le collectionneur bâtisseur du lieu, héritier d’un empire de l’édition allemande. Enfin, si la notoriété de Jean-Louis Prat lui a permis d’obtenir des prêts exceptionnels de la famille de l’artiste, mais aussi de collectionneurs privés et de musées russes, c’est l’aisance financière de Frieder Burda qui a rendu possible cette concentration de pièces importantes – pour une « somme folle », de l’aveu de ce dernier.
L’œil du commissaire a néanmoins fait l’essentiel. Parmi les facettes méconnues de l’artiste russo-français, le public découvrira son œuvre de jeunesse, où se télescopent les influences de Matisse (Le Nu rouge, 1909, coll. part.) et de Picasso (Nu au peigne, 1911, coll. part.). Chagall n’oublie cependant pas ses classiques, convoqués dans le portrait de Bella à l’œillet (1925, coll. part.), qui évoque Titien, ou encore dans cet Autoportrait aux pinceaux en jeune artiste de la Renaissance sûr de son trait (1909, Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf).
Après un séjour à Paris de 1911 à 1914, le peintre de Vitebsk retourne en Russie où il demeure jusqu’en 1922. En 1920, il obtient une première commande pour le Théâtre d’art juif de Moscou auquel il livre des décors étranges (Galerie Tretiakov, Moscou), où la profusion des personnages est mâtinée de références au futurisme, au cubisme ou au suprématisme.
Quelques tableaux surprenants agrémentent la visite. C’est le cas de L’Apparition (1917, Musée d’État russe, Saint-Pétersbourg), conjuguant un portrait de l’artiste et une Annonciation dans une métaphore de l’inspiration, brossée en bleu et blanc avec un élan du trait presque futuriste. De nombreuses esquisses et planches gravées, prêtées par la famille de l’artiste, permettent enfin d’aborder son rôle d’illustrateur. En maître de la couleur, Chagall a rencontré des difficultés pour transposer ses gouaches préparatoires en gravures. Ainsi des Fables de La Fontaine, entreprises en 1925 mais publiées en 1952, où les couleurs de son bestiaire envahissent les études préparatoires, quitte à négliger le contenu moralisateur du texte. La Révolution (1937, Centre Pompidou), qui réduit les événements de 1917 à une simple scène de cirque, attire l’attention pour être l’une de ses très rares toiles à connotation politique. Cette esquisse a servi à la réalisation d’un grand tableau, plus tard détruit volontairement par l’artiste. Malgré la violence de son époque, Chagall refusa en effet tout engagement politique. D’où, peut-être, son succès non démenti auprès d’un large public.

Chagall

- Commissaire de l’exposition : Jean-Louis Prat, président du Comité Marc-Chagall - Nombre d’œuvres : 100

Chagall

Jusqu’au 29 octobre, Musée Frieder-Burda, Lichtentaler Allee 8b, Baden-Baden (Allemagne), tél. 49 7 221 39 89 90, www.museum-frieder-burda.de, tlj sauf lundi 10h-18h, jusqu’à 20 heures le mercredi. Cat., en allemand et en français, 240 p., 225 ill., éd. Hatje Cantz, 25 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°242 du 8 septembre 2006, avec le titre suivant : Pari gagné à Baden-Baden

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