Civilisation

Sur les pas des croisés

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 8 septembre 2006 - 709 mots

Une exposition consacrée aux croisades est l’occasion d’exhumer un fonds de photographies inédites du XIXe siècle. Certaines d’entre elles sont signées par deux pionniers arabes de cet art.

 MANNHEIM - Sur fond de tensions au Proche-Orient, une exposition sur les croisades et la bataille pour la conquête de la Terre sainte pourrait tenir lieu de sujet d’actualité. Depuis 1099 et la prise de Jérusalem par Godefroi de Bouillon, le Levant est en effet devenu le creuset de confrontations entre civilisations occidentale et orientale, pour le pire d’un point de vue humain, pour le meilleur en termes artistiques.
Grâce à de nombreux prêts d’institutions européennes, les Musées Reiss-Engelhorn, à Mannheim (Allemagne), ont pu réunir un panel d’objets permettant d’évoquer cette période féconde du Moyen Âge. Articulée de manière thématique, l’exposition aborde le rôle central de Jérusalem, ville sainte pour les trois religions monothéistes, avant de présenter les cultures qui vont s’entrechoquer. Les deux figures mythiques de Saladin (1138-1193) et de Richard Cœur de Lion (1157-1199) – qui signèrent le traité de 1192 reconnaissant la domination musulmane sur la Ville sainte tout en autorisant le libre accès aux autres pèlerins – y sont logiquement convoquées. De la céramique aux arts du verre, de l’architecture à la sculpture, nombreuses sont les productions témoignant d’une interpénétration des civilisations musulmane et chrétienne.

Les pionniers dévoilés
Mais la partie la plus intéressante de cette manifestation – car totalement inédite – est son prolongement consacré à la vision de cet Orient sous l’œil des photographes du XIXe siècle. Marchant sur les pas des croisés, de nombreux professionnels ou amateurs ont arpenté ces terres avec leur lourd matériel, réalisant des clichés qui permettent aujourd’hui de reconstituer mentalement le voyage de ces premiers touristes. Certaines images possèdent une valeur documentaire, alors que d’autres relèvent d’un intérêt archéologique ou sont purement commerciales. Ainsi de ces portraits mis en scène figurant des autochtones adoptant des poses ingresques. Si des noms comme Jakob August Lorent, Félix Bonfils ou Christiaan Snouck Hurgronje – auteur d’une recension encyclopédique de toutes les catégories sociales locales – s’illustrent dans ces campagnes, y sont aussi dévoilées les œuvres des pionniers de la photographie arabe, comme Mohammed Sadiq Bey et Al-Sayyid Abd al-Ghaffar. Grâce à ses recherches, Claude Wing Sui, commissaire de l’exposition, a pu établir quelques éléments de biographie de ces deux photographes, les premiers à livrer des images des lieux saints de l’islam ou des caravanes de pèlerins musulmans. Jusque-là méconnus, ils sont depuis peu l’objet d’un intérêt particulier sur le marché de l’art, la famille royale saoudienne ayant déboursé récemment la somme de 2,3 millions de dollars (1,7 million d’euros) pour l’acquisition de dix-huit clichés de Sadiq Bey.
Exposées pour la première fois, ces photographies dormaient jusqu’ici dans la documentation des Musées Reiss-Engelhorn. Provenant de la collection Reiss, toutes ces images ont été acquises par les membres de cette famille de la haute bourgeoisie industrielle de Mannheim au cours d’un « Grand Tour » qui les a menés de l’Orient à l’Asie ou à l’Amérique du Sud. Or, le musée étant consacré à l’archéologie et à l’ethnologie, cet incroyable fonds de 10 000 tirages avait été soigneusement remisé sans jamais avoir été exploité. En 2002, la création du « Forum international de la photographie » par la famille Engelhorn a permis de sortir de l’oubli ces tirages sur papier albuminé, tous parfaitement conservés.

Occasion manquée pour Paris
Nommé pour valoriser cette extraordinaire collection, Claude Wing Sui s’attelle depuis à la production d’une exposition pour le musée. Les éditions Thames & Hudson seraient d’ores et déjà intéressées par la traduction en d’autres langues du catalogue de l’exposition, édité uniquement en allemand faute de moyens. Ce serait là une précieuse occasion d’assurer la diffusion vers l’étranger de cet ensemble méconnu. Paris aurait aussi pu avoir la chance de dévoiler cet ensemble, mais il est regrettable que le Musée d’Orsay n’ait pas répondu favorablement aux sollicitations du conservateur allemand, au prétexte de réserver ses cimaises à son propre fonds photographique.

Saladin et les CroisÉs et En Terre Sainte. Lieux de pèlerinage, de Jérusalem à la Mecque et Médine. Photographies du XIXe siècle

Jusqu’au 5 novembre, Musées Reiss-Engelhorn, Zeughaus C5, Mannheim (Allemagne), tél. 49 0621 293 3150, www.reiss-engelhorn-museen.de, tlj sauf lundi 11h-18h. Catalogues en allemand, coéd. Verlag Philipp von Zabern/éd. Braus.

SALADIN ET LES CROISÉS - Commissariat : Prof. Dr Wieczorek, directeur des Musées Reiss-Engelhorn, Dr. Irmgard Siede et Dr. Nicola Crüsemann - Nombre d’œuvres : 300 EN TERRE SAINTE - Commissariat : Dr. Claude W. Sui - Nombre de photographies : 150

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°242 du 8 septembre 2006, avec le titre suivant : Sur les pas des croisés

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