Portrait

Dunkerque la Nordiste vue par un Sudiste

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 22 septembre 2006 - 731 mots

Le photographe américain William Eggleston, qui y est venu en résidence,
offre une vision picturale de la ville portuaire.

 DUNKERQUE - Depuis les années 1980, la photographie a pris ses aises de manière si spectaculaire – avec Jeff Wall, Andreas Gursky, Cindy Sherman… – que se plonger dans cette série de clichés intimistes signés William Eggleston peut, dans un premier temps, déboussoler. « Spirit of Dunkerque » se compose de quarante tirages au format rigoureusement identique – 18 x 12 inches, soit 45,7 x 30,5 cm – où l’horizontalité le dispute à la verticalité, quasiment à parité. Ce projet est le résultat d’un séjour d’une semaine que ce photographe né à Memphis (Tennessee, États-Unis) a effectué à Dunkerque, en octobre 2005, à l’invitation de la municipalité. À la clé : une « carte blanche » et la possibilité d’accéder à des sites traditionnellement interdits au public, comme certaines zones du port ou les usines Arcelor. Le portrait qu’Eggleston dresse de cette cité du Nord est des plus séduisants, loin des clichés traditionnels sur la ville. Bien que l’artiste soit depuis longtemps passé maître dans l’art de saturer les couleurs, il a cette fois tout simplement bénéficié d’une météorologie favorable. Son évidente inclination pour Dunkerque a fait le reste.
Rien d’extraordinaire dans la ville d’Eggleston. Le photographe s’est, comme il en a l’habitude, attaché à « capturer » le quotidien, le presque rien que l’on ne voit pas ou plus. Très peu de gens figurent dans cette série. Ici un enfant, sur les marches d’un quai, qui tient du bout des doigts un crabe. Là un sidérurgiste manipulant la lave en fusion dans les ténèbres d’une fonderie. Ce n’est pas la silhouette de l’un ou de l’autre qu’Eggleston a voulu saisir, mais le geste. Idem pour cette image prise dans un café. Une femme au chemisier à motifs géométriques décolle légèrement son verre de la table. Face à elle, une main enroule un sachet de thé sur une petite cuiller. Les deux corps sont hors champ, anonymes. Seul le geste compte, les mouvements du quotidien, la vie de tous les jours. Les êtres humains sont presque absents des clichés d’Eggleston et pourtant partout transpire un soupçon de vie, si infime soit-il. Une bottine rose dans la boutique d’un chausseur, une trace de pneu sur le sable. Une inévitable empathie sourd de ces photographies. Parfois, il semble même que la fibre américaine d’Eggleston ait voulu reprendre le dessus. Dans une ambiance orangée et poussiéreuse, tel lieu prend alors des allures de paysage de l’Ouest des États-Unis. Et telle affiche sur la vitrine d’un marchand de gaufres paraît tout droit sortie de l’imagerie publicitaire américaine.

Tableaux
À 67 ans, William Eggleston travaille à la manière d’un peintre. Certains de ses clichés font ainsi penser à des tableaux. Un escalier croise une échelle à la manière cubiste. Une éraflure sur du métal sombre évoque une huile de Soulages ; un marquage effacé sur un tuyau rouillé, une affiche lacérée de Hains ou Villeglé ; une typographie appuyée, un cadrage hyperréaliste à la Peter Klasen. Le photographe joue aussi avec les matériaux alentour, avec la matérialité même de l’image. Sur cette épreuve, il métamorphose en or une vulgaire pyramide de minerai. Spécialiste du détail, Eggleston sait par ailleurs réaliser des synthèses magistrales. Ainsi en est-il de cette photographie représentant une petite architecture de béton anodine et abandonnée, une ancienne « pompe à vin » plantée sur le bord de la darse. À travers deux ouvertures, on distingue, d’un côté le beffroi de l’hôtel de ville et la tour du Reuze, de l’autre un fragment de la nouvelle université. D’un coup d’un seul, la composition raconte la Dunkerque d’aujourd’hui au plus près de ses entrailles. Reste que c’est le port qui, à travers ses conteneurs par dizaines et ses gigantesques empilements de tuyaux, semble avoir le plus fasciné Eggleston. Mais ses visions persistantes sont aussitôt rattrapées par quelques échappées belles, trop rares sans doute. Des rails mangés par la végétation qui s’éloignent à l’infini, des dunes de sables livrées aux herbes folles. Comme pour contrecarrer les clichés – au sens propre cette fois – d’une ville qui ne serait qu’un antre de l’industrie lourde.

WILLIAM EGGLESTON, SPIRIT OF DUNKERQUE

Jusqu’au 29 octobre, Lieu d’art et action contemporaine, Jardin des sculptures, 59140 Dunkerque, tél. 03 28 29 56 00. Catalogue, Biro Éditeur, 2006, 128 pages, 50 photographies, 34 euros, ISBN 2-35119-017-3.

WILLIAM EGGLESTON

- Nombre d’œuvres : 34 - Nombre de salles : 4 Commande de la ville de Dunkerque à l’artiste dans le cadre d’une résidence

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°243 du 22 septembre 2006, avec le titre suivant : Dunkerque la Nordiste vue par un Sudiste

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