Naturalisme

Un Roumain à Barbizon

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 22 septembre 2006 - 564 mots

Peintre illustre dans son pays, Nicolae Grigorescu a trouvé sa voie à Barbizon. Une première rétrospective française lui est enfin consacrée.

 BARBIZON - « C’est aussi mauvais que du Manet ! », s’exclamait un critique d’art roumain devant une œuvre de son contemporain Nicolae Grigorescu (1838-1907). À l’image du sort réservé aux impressionnistes, les premières critiques de cet art avant-gardiste pour l’époque se sont transformées en louanges, et Grigorescu est aujourd’hui considéré comme le chef de file de l’école moderne en Roumanie. Illustre peintre en son pays, illustre inconnu en France…, l’Histoire ne saurait avoir retenu de la tradition paysagiste de Barbizon que le nom de ses représentants français. Le Musée des beaux-arts d’Agen possède néanmoins treize toiles de l’artiste roumain, issues des 300 tableaux du XIXe siècle légués à la ville par les époux Brocq entre 1928 et 1941. Cette – modeste – rétrospective au Musée départemental de l’école de Barbizon, « Nicolae Grigorescu ; itinéraire d’un peintre roumain de l’école de Barbizon à l’impressionnisme », déjà présentée ce printemps à Agen, est donc un juste retour des choses.
Dans les années 1850 et 1860, nombreux pourtant étaient ces jeunes apprentis, pour beaucoup venus de toute l’Europe et même des États-Unis, à gagner les environs de Paris afin de peindre sur le motif. Situé en lisière de la forêt de Fontainebleau, le petit village de Barbizon devient très vite l’épicentre de la peinture en plein air, et ce sans doute grâce à son unique pension, l’auberge Ganne – où est aujourd’hui installé le musée départemental. Hôtes accueillants, prix modiques, dortoirs sommaires, la priorité des jeunes pensionnaires est à l’observation de la nature, des premières lueurs du jour au coucher du soleil.
Né dans les Carpates et formé à l’art de l’icône par le maître Anton Chladek, Nicolae Grigorescu arrive à Paris en 1861, fréquente les mêmes chevalets que les futurs impressionnistes dans l’atelier de Charles Gleyre aux Beaux-Arts de Paris, et, comme ses acolytes, prend le chemin de Barbizon. La forêt de Fontainebleau, puis la Bretagne et la Normandie sont les paysages français qui l’ont inspiré pendant toute sa carrière, en alternance avec la campagne roumaine qu’il retrouve régulièrement.
Parmi les toiles accrochées aujourd’hui à touche-touche dans les anciens dortoirs de l’auberge – non adaptés à recevoir des expositions temporaires –, le talent est manifeste, et les influences, frappantes (Jean-François Millet, Jean-Baptiste Corot, Théodore Rousseau). Mais la peinture ne fait preuve d’aucune innovation. « Grigorescu était surtout moderne pour ses compatriotes », confirme Marie-Thérèse Caille, conservatrice du musée et co-commissaire de l’exposition. Son inspiration roumaine le démarque, il est vrai, des thèmes français. Les portraits de paysannes, dont les blouses fourniront à Matisse un demi-siècle plus tard un de ses plus beaux sujets, ont une délicatesse et un mystère totalement absents des toiles de Millet, qui préfère s’appliquer à représenter la rudesse des métiers de ferme. Et l’intimité des salles comme la proximité de la forêt de Fontainebleau constituent le contexte idéal pour découvrir les œuvres de Grigorescu. Pendant que les conservateurs du Musée de Bucarest continuent de rêver à une rétrospective au Musée d’Orsay…

NICOLAE GRIGORESCU, 1838-1907, ITINÉRAIRE D’UN PEINTRE ROUMAIN DE L’ÉCOLE DE BARBIZON À L’IMPRESSIONNISME

Jusqu’au 11 décembre, Musée départemental de l’école de Barbizon, Auberge Ganne, 92, Grande-Rue, 77630 Barbizon, tél. 01 60 66 22 27, tlj sauf mardi 10h-12h30 et 14h-17h30. Catalogue, Somogy Éditions, 120 p., 70 ill., 22 euros, ISBN2-85056-986-0.

NICOLAE GRIGORESCU

- Commissaires de l’exposition : Marie-Dominique Nivière, conservatrice au Musée des beaux-arts d’Agen, et Marie-Thérèse Caille, conservatrice au Musée départemental de l’école de Barbizon - Nombre d’œuvres : 53 huiles sur toile, toutes signées Grigorescu hormis un Narcisse Diaz de la Peña, un Théodore Rousseau et un Jean-François Millet. Les deux tiers des tableaux proviennent du Musée national d’art de Roumanie, à Bucarest. - Nombre de salles : 5

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°243 du 22 septembre 2006, avec le titre suivant : Un Roumain à Barbizon

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