Écomusée

Péril en la demeure

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 6 octobre 2006 - 796 mots

L’écomusée d’Alsace à Ungersheim pourrait être mis en liquidation. En attendant une décision du tribunal de grande instance de Colmar, ses président et directeur ont remis leur démission.

 UNGERSHEIM - Depuis plusieurs mois, l’écomusée le plus emblématique de France est au cœur de la tourmente à Ungersheim (Haut-Rhin). Ce village recomposé de 70 maisons paysannes authentiques, qui a ouvert ses portes en 1984 pour entretenir l’identité agricole et préserver l’architecture vernaculaire, vient en effet de voir partir son directeur et fondateur, Marc Grodwohl. Ce dernier, qui a démissionné de ses fonctions lors d’une assemblée générale de l’association propriétaire et gestionnaire de l’écomusée le 17 septembre, a été suivi par le président  François Capber, remplacé par Jacques Rumpler, un autre bénévole de l’association.
Ces départs à la tête de l’établissement étaient annoncés dans le plan de continuation déposé devant la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Colmar (TGI), le 12 septembre, par la région Alsace et le conseil général du Haut-Rhin. Depuis septembre 2005, la crise couvait entre les responsables de l’écomusée et les collectivités locales, principaux bailleurs de fonds, qui reprochaient aux dirigeants de l’association leur mauvaise gestion, l’écomusée accusant un passif de 1,6 million d’euros. Une requête déposée par les dirigeants de l’écomusée a permis la nomination, en octobre 2005, d’un mandataire judiciaire. C’est dans ce contexte qu’a été mise en place en mars 2006 une procédure de sauvegarde. La première audience devant le TGI a permis de prendre connaissance du plan de relance proposé par Adrien Zeller, président du conseil régional Alsace (UMP), et Charles Buttner, président du conseil général du Haut-Rhin (UDF). Hormis le renouvellement de l’équipe dirigeante, celui-ci prévoit la suppression d’une cinquantaine de postes de salariés et l’injection de 2,2 millions d’euros. L’audience a toutefois été renvoyée au 26 octobre afin d’obtenir un complément d’informations. Si ce plan n’était pas jugé viable, l’écomusée pourrait être placé en liquidation ou en redressement judiciaire. Un spectre auquel salariés et bénévoles préfèrent ne pas croire. « Nous continuerons à nous battre pour la sauvegarde de ce patrimoine vivant qu’est l’écomusée », confirme un membre du collectif des salariés.
Prenant acte de ce désaveu de leur gestion, directeur et président ont donc démissionné. Non sans amertume car de leur côté, ils dénoncent une mise en cessation de paiement délibérée de la part des collectivités. Bénévole de l’association, Marc Grodwohl aurait été dans le collimateur des collectivités pour ses fonctions de président et d’actionnaire d’Ecoparcs, la filiale privée gérant hôtel, restaurant et boutique de l’écomusée. Or, depuis sa création en 1989, l’intégralité des dividendes d’Ecoparcs aurait été réinvestie dans la structure qui a financé seule la construction de ces équipements nécessaires au bon fonctionnement de l’écomusée. « La cour régionale des comptes s’est rendue deux fois sur le site pour procéder à un examen de la gestion de l’association, précise Jacques Rumpler. Si les experts avaient trouvé trace d’une quelconque malversation, il ne fait aucun doute que cela se serait su immédiatement. » Depuis 2004, les collectivités se sont en revanche bornées à refuser les aides au fonctionnement, ce qui aurait provoqué l’hémorragie financière. Par ailleurs la suppression des programmes d’investissements aurait accentué l’érosion de la fréquentation du site du fait d’un tarissement de l’offre.

Une cohabitation délicate
À Ungersheim, l’ouverture d’un second parc à thème en juin dernier, le Bioscope, est par ailleurs pointée du doigt par les salariés de l’écomusée. 36 millions d’euros ont en effet été investis dans cette infrastructure créée en partenariat avec une société privée (la Compagnie des Alpes) alors que le parc n’a, pour le moment, attiré que 30 000 visiteurs et que la même somme devrait être débloquée pour une seconde tranche de travaux. Le plan de relance de l’écomusée proposé par la région et le département prévoit de créer une synergie entre ces deux entités, dont les projets culturels diffèrent pourtant sensiblement. Un audit remis en juillet 2006, dont l’existence a été révélée par le quotidien local L’Alsace (du 12 septembre 2006), aurait émis un avis négatif sur ce projet et affirmé le potentiel d’un écomusée sans concurrence dans toute la France. Réfutée par Charles Buttner, cette étude affirmerait ainsi que les collectivités doivent accepter « que l’écomusée soit réellement considéré comme un musée dont la gestion peut être améliorée mais qui doit faire appel à des subventions de fonctionnement pour résorber les déficits inévitables. » De son côté, Jacques Rumpler ne se dit pas hostile au Bioscope, qui peut devenir « un facteur d’attractivité supplémentaire pour le site. »
L’avenir de l’écomusée se jouera donc à la barre du tribunal. De nombreux responsables d’écomusées, d’ethnologues et de conservateurs ont d’ores et déjà manifesté leur soutien à cet établissement unique, labellisé Musée de France, qui n’a pourtant pas toujours fait l’unanimité au sein de la communauté scientifique.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°244 du 6 octobre 2006, avec le titre suivant : Péril en la demeure

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