Histoire

La Galerie de France ferme ses portes

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 20 octobre 2006 - 664 mots

Fondée en 1942, l’enseigne qui a défendu Hartung, Zao Wou-ki ou Soulages cesse ses activités. Sa directrice, Catherine Thieck, souhaite prendre une autre respiration.

PARIS - Alors que les galeries Yvon Lambert et Daniel Templon (lire ci-contre) fêtent cette année leurs 40 ans, la Galerie de France, à Paris, a choisi de tirer sa révérence fin novembre, après soixante-quatre ans d’existence. Dûment mûrie, cette fermeture marque la fin de l’une des plus vénérables enseignes parisiennes. Pourquoi ce retrait ? « Je ne comprends plus le marché, confie Catherine Thieck, sa directrice depuis 1981 et actionnaire à 50 % depuis 1985. Tout est aujourd’hui mis au même niveau, ce qui laisse les mains moins libres pour être marginal. Il existe des canons de l’art. »

La Galerie de France naît en 1942 de l’enthousiasme de deux jeunes collectionneurs parisiens, Paul Martin et Jacques Lambert. Leur mot d’ordre : soutenir les jeunes peintres indépendants. Ils rallient de fait Jacques Villon, Jean Bazaine, Alfred Manessier, Maurice Estève ou Charles Lapicque. Dans les années 1950, alors que la galerie est dirigée par Myriam Prévot-Douatte et Gildo Caputo, rejoignent l’écurie Pierre Alechinsky, Hans Hartung, Alberto Magnelli, Zao Wou-ki et Gustave Singier. En 1952, l’exposition « Regards sur la peinture américaine » réunit des artistes encore peu connus en France comme de Kooning, Pollock, Gottlieb et Motherwell ! Le choc pétrolier de 1973 plombe la structure. Myriam Douatte se suicide en 1977, laissant les rênes à Gildo Caputo. « La galerie allait alors de Charybde en Scylla, rappelle Catherine Thieck. Il y avait les pires schémas de montage qu’on puisse imaginer, comme la pratique de nantissement d’œuvres auprès des banques. » Lorsque l’homme d’affaires André Rousselet rachète l’affaire en 1980, celle-ci est très endettée.

Conservatrice pendant neuf ans à l’ARC/Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Catherine Thieck prend la direction de la galerie en juin 1981 et procède à son déménagement de la rue du Faubourg-Saint-Honoré à celle de la Verrerie. Elle hérite du noyau dur des artistes : Hartung, Manessier, Soulages, mais aussi de la succession de Julio González. Malgré son passé glorieux, la galerie s’était ossifiée. En 1962, elle pouvait se targuer d’une clientèle en liste d’attente pour Hartung, Soulages et Manessier. Mais les prix n’ont pu décoller. Si un Hartung valait 600 000 francs dans les années 1960, une somme pour l’époque, le prix n’avait pas bougé d’un pouce en 1982. « La galerie n’avait pas exercé de choix. Le système du contrat d’exclusivité faisait qu’elle prenait tout, indistinctement, indique Catherine Thieck. J’ai essayé d’améliorer le stock existant en proposant aux artistes des échanges, dix œuvres contre une ou deux, ce qu’ils n’acceptaient pas facilement. » Outre le toilettage de l’inventaire, Catherine Thieck s’attelle à l’intégration de nouveaux artistes. Elle  conserve une dimension historique, mais avec d’autres créateurs comme Eugène Leroy, Pier Paolo Calzolari, Thaddaeus Kantor ou Judith Reigl. « Je voulais davantage insuffler un esprit à un lieu que promouvoir un artiste, explique-t-elle. J’ai toujours travaillé plus sur les œuvres que sur les artistes. » Elle présente aussi des artistes russes ou chinois. Un lien tout particulier la relie toutefois à Rebecca Horn et à Martial Raysse. Son esprit intergénérationnel aura séduit des collectionneurs comme Marcel Brient ou Marin Karmitz. « Catherine est un extraordinaire passeur, acquiesce Marin Karmitz. Elle a un regard d’une grande finesse et précision, en dehors des modes. »

Contraintes assouplies
Malgré les sollicitations de ses collègues en quête d’espaces dans le quartier, Catherine Thieck devrait conserver le lieu. Elle le louera toutefois au galeriste de Cologne Michael Werner de février à juin 2007. Nonobstant les pressions des ventes publiques, il n’est pas question pour l’heure de vendre le stock, qui appartient à cent pour cent à André Rousselet. « Je ne vends pas le nom de la Galerie de France, insiste Catherine Thieck. Mais je ne veux pas me contraindre avec un programme. Je souhaite prendre une autre respiration, faire des mélanges au-delà du champ des arts plastiques. »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°245 du 20 octobre 2006, avec le titre suivant : La Galerie de France ferme ses portes

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