Artistes-galeries : le « mercato » est ouvert

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 20 octobre 2006 - 576 mots

« Quarante ans presque qu’ils se connaissaient, s’estimaient, se soutenaient… Avec Renoir la parole suffisait, et la poignée de main », a écrit Pierre Assouline dans sa biographie du marchand Paul Durand-Ruel (1). Une telle fidélité, comme celle qui lia Juan Gris à Henry Kahnweiler, ou Bruce Nauman à Gian Enzo Sperone, semble révolue. Les transferts d’artistes d’une galerie à une autre sont aujourd’hui presque aussi courants – bien que moins commentés – que les passages des footballeurs d’un club à un autre. Certains prennent du champ sous peine de rester la énième roue d’une écurie ou pour des mésententes financières chroniques. D’aucuns fuguent après avoir épuisé le fichier de collectionneurs de leurs galeries. D’autres encore sont motivés par une légitime ambition.
Depuis le début de l’année, plusieurs têtes d’affiche ont quitté les galeries qui avaient façonné leur renommée. L’Argentin Leandro Erlich a abandonné Gabrielle Maubrie pour Emmanuel Perrotin (Paris, Miami). De son côté, Kamel Mennour a perdu Kader Attia, parti se faire produire une pièce par Daniel Templon pour la Foire de Bâle. Bien qu’une exposition chez Templon ait été prévue au printemps 2007, elle est reportée sine die. Pour se donner le temps de la réflexion et courir encore ailleurs ? La galerie allemande Christian Nagel l’exposera en avril à Berlin… Mennour a gagné au change en accueillant Daniel Buren, lequel a déserté Marian Goodman (Paris, New York). Le New York Times rappelait en juin que Paul McCarthy s’était contenté d’une courte lettre pour avertir Luhring Augustine (New York) qu’il le laissait tomber après quatorze ans de relations, ce pour Hauser & Wirth (Zurich, Londres). De même, Takashi Murakami a préféré à Marianne Boesky (New York) le puissant Gagosian (Londres, New York, Beverly Hills), l’aspirateur géant à artistes.
En s’installant à Paris, Marian Goodman avait su capter de très bons artistes français en faisant miroiter sa vitrine new-yorkaise. À sa façon, Yvon Lambert lui emboîte le pas. À New York, il peut représenter Melik Ohanian, à l’affiche chez Chantal Crousel à Paris, et depuis peu Richard Jackson, présenté en France par Georges-Philippe et Nathalie Vallois. Pour l’heure, cet équilibre tient la route. En revanche, Charles Sandison, que Lambert représentait jusque-là uniquement à New York, a quitté la galerie Frank Elbaz pour un pack complet Paris-New York.
Les jeux sont parfois tellement serrés que les galeries choisissent un modus vivendi pour éviter le jugement de Salomon de l’artiste. L’Allemand Anselm Kiefer expose ainsi simultanément à Paris chez Thaddaeus Ropac et Yvon Lambert à partir du 21 octobre. De même, Marian Goodman et Yvon Lambert organiseront de concert à partir du 14 décembre, dans leurs espaces parisiens et new-yorkais, une exposition de Giulio Paolini.
Si les artistes quittent en général leurs galeries pour monter en grade, certaines stratégies laissent perplexes. Après sa rupture avec sa galerie belge Micheline Szwajcer (Anvers), Wim Delvoye s’est récemment reporté sur… Guy Pieters (Saint-Paul de Vence, Knokke-le-Zoute) ! Il en a aussi profité pour se faire produire une exposition par la galerie de Pury & Luxembourg à Zurich. Dans le même temps, il a rejoint la galerie Emmanuel Perrotin qui lui organise une exposition à Miami en décembre et une autre à Paris au printemps 2007. Enfin, le boulimique a aussi intégré l’écurie d’Arndt & Partner (Berlin, Zurich). De Pieters à Perrotin, il y a un abîme. Peut-on manger à tous les râteliers ? Peut-on se disperser dans autant d’expositions sans perdre de vue l’essentiel : l’art ?

(1) Gallimard, 2004.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°245 du 20 octobre 2006, avec le titre suivant : Artistes-galeries : le « mercato » est ouvert

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