Scène

Effluves nordiques

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 20 octobre 2006 - 708 mots

Présenté pour la première fois en France, le Carnegie Art Award est l’occasion de découvrir une peinture nordique absente dans l’Hexagone.

 CARROS (ALPES-MARITIMES) - Les motifs urbains de Kira Wager sont fragmentés en bandes verticales ou horizontales, dont la lecture et la recomposition sont encore entravées par des tourbillons de couleurs. Des coups de pinceaux vigoureux, comme des tags proliférant qui assurent une synthèse entre abstraction et figuration. L’usage de l’huile sur un support en PVC accroît encore une sensation d’indéfini, car la surface d’un lisse absolu laisse planer quelques doutes quant à la technique employée (Graffiti, 2005).
La Norvégienne est au nombre des artistes retenus pour la septième édition du « Carnegie Art Award », une distinction qui récompense tous les deux ans quatre artistes nordiques (trois lauréats et une bourse pour un jeune talent émergent) œuvrant majoritairement dans le champ pictural. Banque d’investissement installée depuis 1803 à Stockholm, Carnegie a lancé en 1998 un prix destiné à soutenir les artistes et la peinture nordiques (Suède, Norvège, Finlande, Islande, Danemark), distinction confortablement dotée d’un total de 230 000 euros, dont 108 000 reviennent au premier prix. Précédemment annuel, le prix est devenu biennal à partir de 2003 afin de permettre une gestion plus rationnelle de l’itinérance des expositions. Les œuvres sélectionnées voyagent en effet dans chacune des cinq capitales nordiques.
C’est une volonté d’ouverture vers l’extérieur qui a, depuis peu, conduit les promoteurs du projet à exporter le fruit de leur entreprise, l’exposition étant désormais présentée à Londres et, pour la première fois cette année, en France, au centre d’art installé dans le château de Carros, dans les Alpes-Maritimes. La présence de Suzanne Pagé au sein du jury de l’édition 2006, comprenant six membres et présidé par Lars Nittve, directeur du Moderna Museet à Stockohlm, atteste de cette volonté de se confronter à des regards extérieurs, mais aussi d’exporter la création promue.

Éclectisme
C’est à la peintre suédoise Karin Mamma Andersson qu’a été décerné le premier prix de cette édition. Le jury a manifestement été sensible à l’impact narratif de ses scènes d’intérieur où les décors, même lorsqu’ils ne contiennent aucune action, recèlent un fort potentiel discursif et une capacité à provoquer l’évasion. En même temps, nombre de ses tableaux interrogent le processus de fabrication des images, et de l’image peinte en particulier.
Une autre œuvre à forte contingence narrative s’est vue décerner le troisième prix. Le film vidéo Until (2004) de la Finlandaise Petra Lindholm constitue en effet une digression physique et mentale, un conte nocturne où la déambulation du personnage principal et le déroulé du récit adoptent une forme non linéaire. Les séquences s’interrompent et se télescopent, les images sont léchées, portées par une musique aux relents mélancoliques, entraînant le spectateur dans une belle promenade.
Nulle unité de forme ou de fond ne relie les 21 artistes de tous âges choisis parmi les 115 proposés au jury par 26 rapporteurs, avec pour seule contrainte que les travaux aient été réalisés au cours des deux dernières années. C’est à l’inverse un grand éclectisme qui prévaut tant le mural peint abstrait aux couleurs pastel de Josefine Lyche (Untitled  # 9, 2004) a peu à voir avec les compositions florales toutes en matière et grouillantes de détails d’Eggert Pétursson, lauréat du deuxième prix (Untitled, 2004-2005). Ou encore avec les tableaux oniriques et proches d’une esthétique de bande dessinée de Henrik Samuelsson. Fourmillants de détails et d’incongruités, ils convient au rêve et au voyage au sein d’une histoire qui n’en est pas une, mais procède plutôt d’une expérience de la divagation.
Synonyme de dynamisme et de vitalité, cette sélection nordique est singulièrement discrète dans le paysage français. Si quelques noms passent ici ou là, comme celui du Norvégien Knut Asdam récemment vu à la galerie Cent8, la déferlante nordique de l’emblématique exposition « Nuit blanche – Scènes nordiques : les années 1990 », au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 1998, a fait long feu. Une raison supplémentaire pour aller se rafraîchir les idées au château de Carros.

Carnegie Art Award 2006

Jusqu’au 5 novembre, Centre international d’art contemporain, place du Château, 06510 Carros-Village, tél. 04 93 29 37 97, www.carnegieartaward.com, tlj sauf lundi 10h-12h/14h-18h. Catalogue, éd. Carnegie Art Award, 206 p., 138 ill., 53 euros, ISBN 91-973524-5-4.

Carnegie Art Award 2006

- Commissaire : Ulrika Levén - Nombre d’artistes : 21 - Nombre d’œuvres : 49

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°245 du 20 octobre 2006, avec le titre suivant : Effluves nordiques

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