Question de réseau

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 3 novembre 2006 - 545 mots

Sur la foire Zoo Art Fair à Londres en octobre, une installation ironique de José Alfredo Elías Dabdoub chez EDS (Mexico) prêtait à sourire comme à réfléchir. Un téléviseur niché dans un étui montrait un chanteur folklorique mexicain en plein spectacle populaire. À côté se trouvait un autre étui, vide cette fois. Sur le mur était inscrit : « This is empty because of British Airways but looks contemporary » (C’est vide à cause de British Airways, mais cela semble contemporain). À sa façon, cette œuvre questionnait le label « art contemporain ». A priori sont exclues de ce champ les œuvres ânonnant les formes du passé, sauf lorsqu’elles relèvent d’un détournement comme ce fut le cas avec les appropriationnistes.
La question du réseau entre aussi en jeu. Une œuvre peut sembler croûteuse dans une galerie anonyme de la rive gauche et singulièrement hype dans une jeune galerie branchée ! En bénéficiant de l’aura de la Gavin Brown’s Entreprise (New York), une nature morte académique de Verne Dawson s’est ainsi vendue pour 20 000 dollars (15 000 euros) sur le salon Frieze Art Fair à Londres.
Cette foire foisonnait d’artistes inscrits dans une filiation directe avec les maîtres anciens. Felix Gmelin, dont les diptyques reproduisaient certains chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art, était ainsi à l’affiche chez la New-Yorkaise Maccarone. « Felix Gmelin répète. Son art transforme la répétition en force productive. Ce qu’il recherche, ce ne sont pas des formes obsolètes, mais des outils pour le futur », écrivait Daniel Birnbaum, directeur du Portikus à Francfort dans un catalogue sur son travail. Celui-ci était même présenté sous les auspices du philosophe Kierkegaard : « Celui qui souhaite travailler donne naissance à son propre père. » Une telle onction permettait à la galerie de vendre les œuvres pour 12 000 euros.

Légitimer l’art pour le vendre
Chez Dicksmith (Londres), les peintures du jeune Edward Kay, âgé de 26 ans, s’inspiraient aussi bien de Chardin que de Rembrandt. Elles avaient, semble-t-il, intéressé l’acteur Jude Law, signe qu’aujourd’hui les peoples s’érigent au rang de référents ! Pour asseoir la légitimité de l’artiste, la galerie avait invoqué la plume de Norman Rosenthal, responsable des expositions à la Royal Academy of Arts à Londres. « Il [Edward Kay] ne cherche pas à copier mais à faire pour lui-même une nouvelle peinture moderne qui refléterait l’existence de l’histoire dans le présent et un sentiment de doute fragile à propos du futur », a-t-il écrit dans le dossier de présentation de l’artiste. Forts de ces appuis, ses tableautins se sont arrachés comme des petits pains dans une gamme de 4 000 et 5 500 livres sterling (5 900-8 200 euros) hors taxes. Sans la bénédiction de Rosenthal et le caractère branché de Dicksmith, les acheteurs se seraient-ils arrêtés sur ces tableaux ?
Dernier exemple, celui de Sigrid Holmwood, née en 1978 et présentée par la galerie Annely Juda (Londres). Ses toiles revisitent les paysages de l’école de Barbizon dans des couleurs fluorescentes orange et verte. Deux œuvres proposées chacune pour 2 000 livres sterling (env. 3 000 euros) se sont vendues illico sur Frieze. De manière très stratégique, ses tableaux avaient été accrochés face à un polyptyque de David Hockney. Lequel guigne dans ses œuvres récentes vers les paysagistes anglais du XVIIIe siècle…

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°246 du 3 novembre 2006, avec le titre suivant : Question de réseau

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