Peinture espagnole

L’aristocrate du pinceau

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 3 novembre 2006 - 688 mots

La National Gallery de Londres présente une grande exposition monographique consacrée à Velázquez. Une première depuis la rétrospective du Prado en 1990.

LONDRES - Pour les amateurs de peinture ancienne, la traversée de la Manche s’avère aujourd’hui obligatoire. D’une part parce qu’elle leur procurera l’occasion unique de voir réunie, en une exposition, près de la moitié de l’œuvre de Diego Velázquez (1599-1660). D’autre part car tout espoir que cette exposition vienne dans un grand musée parisien est une cause perdue d’avance. Certes, les musées français sont dépourvus de monnaie d’échange depuis la vente à Londres de la collection de la galerie espagnole de Louis Philippe en 1853, exposée au Louvre de 1838 à 1848. Mais les esprits chagrins feront remarquer que le Louvre présente, en ce moment même, une exposition consacrée à William Hogarth (1697-1764) (lire p. 10), bien que ne possédant pas l’ombre d’une toile du peintre anglais...
Il faudra donc se fendre d’un déplacement. En quatre salles accrochées avec justesse, la National Gallery propose une remarquable synthèse de l’art du maître de la peinture du siècle d’or espagnol. Détentrice de neuf tableaux, l’institution londonienne a pu bénéficier de prêts exceptionnels, dont huit toiles venant du Musée du Prado (Madrid). Le parcours chronologique permet d’embrasser l’évolution d’un artiste dont le style évolua au fil des grandes étapes de sa carrière. La salle consacrée aux premières peintures du Sévillan, formé dans l’atelier du maniériste Francesco Pacheco, ressemble ainsi à un concentré de chefs-d’œuvre. Comme bon nombre de jeunes artistes, Velázquez est, à ses débuts, profondément influencé par la leçon caravagesque qui déferle sur l’Europe. Le Marchand d’eau de Séville (1617, Londres, Apsley House), et la Vieille femme faisant cuire des œufs (1618, Edimbourg, National Gallery of Scotland), puisent ainsi dans le répertoire thématique du bodegón – la scène de genre populaire, enrichie de natures mortes – traduite avec un  ténébrisme accentuant la dramaturgie du tableau. « Il existe de nombreuses différences entre la peinture de Caravage et celle de Velázquez, nuance toutefois Xavier Bray, conservateur à la National Gallery. Caravage contrôle et théâtralise le réel, alors que Velázquez l’observe et le retranscrit scrupuleusement. » Ces tableaux de jeunesse – Velázquez est alors âgé d’une vingtaine d’années – rencontrent déjà un vif succès.

Maîtresse du peintre
En 1623, il devient peintre de Cour après avoir livré un premier portrait au jeune roi Philippe IV. La venue de Rubens à Madrid, en 1628, l’incite à séjourner en Italie. La seconde salle de l’exposition démontre comment son style se transforme au contact de l’art italien : sa palette s’éclaircit, ses figures gagnent en monumentalité, son répertoire s’enrichit de thèmes mythologiques comme en témoigne, en manifeste de ce tournant pictural, Apollon dans la forge de Vulcain (1630, Madrid, Musée du Prado). Rentré à Madrid, Velázquez endosse à nouveau son habit de portraitiste officiel et poursuit sa quête de reconnaissance sociale. Ses grandes images convenues de la famille royale révèlent cependant sa capacité à se jouer de l’étiquette, en adoptant quelque liberté dans le traitement de la touche, qui prend parfois des accents pré-impressionnistes.
En 1649, le prodige du pinceau parvient de nouveau à filer vers la péninsule italienne. Sa peinture s’y libère et atteint des sommets de sensualité avec la célèbre Toilette de Vénus (1647-1651, Londres, National Gallery), unique nu d’une peinture espagnole bridée par l’Inquisition. Si cette toile s’inscrit dans une indéniable filiation avec Titien, elle innove par la position retournée du corps de celle qui fut, vraisemblablement, la maîtresse du peintre.
Sommé de rentrerà Madrid en 1651, Velázquez achève sa carrière de peintre courtisan. Si Les Ménines (1656), son dernier chef-d’œuvre, n’a pas fait le voyage depuis Madrid, ce parcours dans la peinture de Velázquez démontre brillamment l’originalité du talent de celui qui, d’après Théophile Gautier, nous a laissé une peinture virtuose, où « tout est fait du premier coup et étudié comme si chaque touche eut coûté un jour de méditation ».

Velázquez

Jusqu’au 21 janvier 2007, National Gallery, Trafalgar Square, Londres, www.nationalgallery.org.uk, tél. 44 20 77 47 28 85, tlj 10h-18h, les mercredis et samedis jusqu’à 21h. Cat. collectif, en anglais, 256 p., env. 30 euros, ISBN 1-85709-308-9

Velázquez

- Commissaires : Dawson W. Carr et Xavier Bray, conservateurs à la National Gallery, Londres - Nombre d’œuvres : 45 - Nombre de salles : 4

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°246 du 3 novembre 2006, avec le titre suivant : L’aristocrate du pinceau

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