Entretien

Dominique Lévy, galerie L&M Arts, New York

« Soyons responsables vis-à-vis des jeunes artistes »

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 17 novembre 2006 - 741 mots

Plusieurs transactions privées récentes, comme les 63,5 millions de dollars (49,7 millions d’euros) offerts pour une œuvre de De Kooning ou les 80 millions de dollars pour Jasper Johns ont défrayé la chronique. De telles transactions réalisées via des galeries sont-elles épisodiques ?
Dans les cinq dernières années, les transactions privées dépassant les 20 millions de dollars se sont multipliées. Il y a de moins en moins d’œuvres de grande qualité et davantage d’acheteurs potentiels. Ceux qui dépensaient 5 millions de dollars voilà dix ans se retrouvent aujourd’hui à payer 15 à 20 millions de dollars. Il existe beaucoup de nouveaux collectionneurs comme les hedge funders [les nouveaux Golden Boys de Wall Street], qui ne sont pas des spéculateurs, mais qui, parce qu’ils en ont le courage, dépensent de l’argent très vite. Celui qui commence à acheter des œuvres à 100 000 dollars peut être amené en un an à payer 5 millions de dollars pour une pièce si ses moyens le lui permettent. À capacité financière égale, le collectionneur dépense plus aujourd’hui, car il apprend plus vite.
 
En général, on parle des hedge funders en termes plutôt péjoratifs, en les comparant aux spéculateurs nippons des années 1980…
Ils n’ont rien à voir avec les acheteurs japonais des années 1980. Ce sont des gens intelligents, qui ont l’habitude d’apprendre très vite. Ils se sont construit une qualité de regard à une vitesse époustouflante. Leur connaissance n’est pas superficielle même si elle a été acquise en accéléré.

Quels sont les impacts des ventes new-yorkaises de mai et novembre sur votre activité en galerie ?
Pendant un mois, les ventes publiques mettent sur pause l’activité de la galerie. Les collectionneurs se réservent, attendent de voir les résultats. Mais en même temps, cela peut accélérer certaines transactions pour des œuvres dont des pièces similaires apparaissent dans les catalogues de ventes. Certains vont précipiter la vente par crainte que la pièce équivalente fasse plus cher aux enchères et que l’on revoie nos prix à la hausse. Pendant les ventes, notre rôle de conseiller prend aussi le pas sur celui de marchand. En mai, nous avons ainsi acheté pour plus de 50 millions de dollars d’œuvres pour nos clients.

Vous avez organisé en 2005 une exposition d’Yves Klein. Comment analysez-vous son marché ?
Il est très particulier, fondamentalement européen. Il a fallu beaucoup de temps pour que l’Amérique réévalue l’après-guerre en Europe. Pour l’instant, seuls des collectionneurs très sophistiqués l’achètent. Nous avions dans notre exposition quatre pièces fantastiques que nous avons vendues aux États-Unis dans une gamme de 2 à 9 millions de dollars. Mais il reste une certaine incompréhension. La série des Feux, la partie la plus ardue de son travail, ne vaut que 150 000 dollars à 1 million de dollars, alors que c’est aussi important qu’un tableau d’Agnes Martin. Les Anthropométries commencent à peine à être assimilées. Voilà trois ans, elles valaient 500 000 à 600 000 dollars. Aujourd’hui, une œuvre de taille moyenne atteint facilement un million.

Quel bilan tirez-vous de votre participation à la Biennale des antiquaires ?
Nous avons adoré cette foire et nous la referons. Les gens que nous voyons à Bâle ou à Miami sont souvent les mêmes. À la Biennale, nous avons obtenu 80 % de nouveaux contacts grâce au public de collectionneurs classiques. Il est bon que le monde de l’art du XXe siècle ne soit pas incestueux et regarde ailleurs. Dernièrement, j’ai vendu un tableau de Takashi Murakami sur fond doré à un collectionneur de la Renaissance et un Nicolas de Staël à un amateur d’archéologie.

Votre galerie semble pourtant s’orienter davantage vers le monde contemporain…
Depuis que je fais équipe avec Bob Mnuchin, j’essaie de donner plusieurs facettes à la galerie. Après l’exposition, au printemps dernier, des tableaux récents de Richard Prince, nous allons montrer en janvier David Hammons, un artiste qui n’a bénéficié d’aucune exposition depuis cinq ans. Nous allons aussi créer un project room en invitant de très jeunes artistes à investir une pièce de la galerie. Ce sera le cas en mars avec Richard Wathen.

Le marché de l’art contemporain ne vous effraie-t-il pas ?
Je me fais plutôt du souci pour les artistes. Prenez un jeune, dont le travail est sincère et authentique, comme Andro Wekua. En moins d’un an, ses prix ont été multipliés par six. Comment va-t-il préparer sa prochaine exposition avec cette flambée ? Le marché a aussi une responsabilité sur l’équilibre des artistes. Soyons responsables et protégeons-les.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°247 du 17 novembre 2006, avec le titre suivant : Dominique Lévy, galerie L&M Arts, New York

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