Design

Rétrospective

La preuve par la machine

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 17 novembre 2006 - 744 mots

Le Vitra Design Museum, à Weil am Rhein, déroule la vie et l’œuvre de Jean Prouvé, au moment où l’une de ses Maisons tropicales a été remontée à Paris sur le bord de la Seine.

Weil am Rhein - Tout Jean Prouvé se trouve au Vitra Design Museum de Weil am Rhein (Allemagne), dans une vaste exposition intitulée « La poétique de l’objet technique », titre également de l’imposant ouvrage paru cette année en français (1) et qui fait office de catalogue. Les habitués de ce petit musée allemand bâti sur le site même de production de l’éditeur de mobilier suisse Vitra auront certainement remarqué, depuis quelque temps déjà, une discrète station-service signée Jean Prouvé (1901-1984). Elle n’est que la cerise sur le gâteau de cette première rétrospective d’ampleur consacrée à l’œuvre de ce célèbre « tortilleur de tôles ».
Avant même de franchir les portes du musée, on entre dans le vif du sujet : un portique original de l’« école nomade » de Villejuif (Val-de-Marne) et une reconstitution de l’auvent des bureaux de la Sécurité sociale du Mans se font face, au garde-à-vous. Dès la première salle, toute la vie de Jean Prouvé défile sous la forme d’une chronologie détaillée – textes et photographies – où se juxtaposent vie privée, projets divers et publications sur son travail. Prouvé est un formidable dessinateur, comme en témoignent ses merveilleuses esquisses préparatoires pour les cours qu’il dispensa entre 1958 et 1972 au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Ce n’est pourtant pas à travers le dessin qu’il crée mais bel et bien à travers la machine. Depuis ses débuts comme forgeron en 1917, Prouvé semble obnubilé par la technologie de son temps, à l’affût de la moindre nouveauté quant à son « outillage ». Sa pensée évolue en fonction de ce dernier. En outre, Prouvé ne se contente pas d’imaginer une forme, meuble ou bâtiment, mais explore son essence même. Il dessine à l’économie, au sens propre du terme, traque le processus le plus rationnel pour produire un objet ou un édifice, cherche à épargner matériel, temps de montage, personnel de montage, ou les trois à la fois… Dans un meuble, une tôle habilement pliée servira en même temps de casier et de raidisseur, comme dans ce prototype de bibliothèque pour la Maison de la Tunisie, à Paris, qu’il réalise en 1952 avec Charlotte Perriand. Dans nombre d’édifices, tel le Pavillon de l’Aluminium, les éléments de construction servent d’abord… d’échafaudage. Prouvé dénichera également des solutions en lorgnant vers d’autres industries, l’aviation ou l’automobile. Ainsi en est-il de ces deux énormes ressorts qui assurent la souplesse du fauteuil Grand Repos. La force de Prouvé est d’exprimer une esthétique claire, celle de quelqu’un qui construit.

Contre le fétichisme
La scénographie suit très fidèlement les classifications développées dans le livre précité. Le visiteur ingurgite le vocabulaire Prouvé – coque, béquille, portique, pieds compas, brise-soleil, hublots… – au travers de moult dessins originaux, photographies, films, maquettes et reconstitutions grandeur nature. Il peut ainsi découvrir les analogies entre la structure porteuse du bureau BS2 et celle de la maison 6 x 6 m. Ou observer la façon judicieuse d’« aérer » une Maison tropicale en décollant légèrement son toit de la poutre maîtresse (lire l’encadré). L’exposition rassemble plusieurs meubles phares : une table Solvay, une chaise d’auditorium de l’université Aix-Marseille, une armoire Pointe de diamant, une table pour la Triennale de Milan de 1951… Des pièces étranges aussi comme cette bicyclette bricolée pendant la guerre (1941) et sa remorque profilée, ou encore, ce tabouret no 307 constitué d’une assise en forme de siège de tracteur, idée reprise quelques années plus tard par Achille Castiglioni pour son fameux tabouret Mezzadro.
« Cette exposition est en quelque sorte un contrepoids au fétichisme actuel des galeristes et des collectionneurs à l’égard de Prouvé, estime Mathias Schwartz-Clauss, conservateur au Vitra Design Museum. Ce fétichisme oublie en effet complètement les vraies raisons pour lesquelles les choses ont été pensées ainsi. » Cette remise à l’heure des pendules est certes consistante, mais fort utile et saisissante.

(1) lire le JdA no 240, 23 juin 2006, p. 14.

LA POÉTIQUE DE L’OBJET TECHNIQUE

Jusqu’au 28 janvier 2007, Vitra Design Museum, Charles Eames Strasse 1, Weil am Rhein, tlj 10h-18h, tél. 49 76 21 702 32 00, www.design-museum.de. JEAN PROUVÉ - Commissaires : Bruno Reichlin et Franz Graf, architectes et enseignants à l’Institut d’architecture de l’université de Genève - Nombre de meubles originaux : plus de 50

Brazzaville-sur-Seine

Jean Prouvé a imaginé trois « Maisons tropicales », édifices légers en acier et aluminium destinés à répondre aux sévères sollicitations du climat africain. Deux ont été construites en 1951 à Brazzaville (Congo), où elles ont fait office de bureaux pour la filiale africaine de la firme Aluminium français. La troisième fut installée à Niamey (Niger) où elle servit de logement et de bureau au directeur d’un collège. En 2000, ces trois prototypes ont été achetés, démontés et rapatriés en France par le galeriste Éric Touchaleaume (Galerie 54, Paris). Celui-ci a remonté l’une des deux maisons de Brazzaville – la plus grande : 180 m2 – sur une berge de la Seine, à Paris, à peu de choses près au même endroit où avait été exhibée, en 1949, une section de la Maison tropicale de Niamey. Le prototype de Brazzaville, lui, a été minutieusement restauré, y compris de ses impacts de balles de Kalaschikov laissés au cours des multiples guerres civiles. Un travail de longue haleine : « C’est un peu comme si vous restauriez 50 voitures de collection en même temps », explique Éric Touchaleaume. Cette Maison tropicale luit aujourd’hui comme un sou neuf. Et l’intérieur a été aménagé avec une sélection de meubles signés… Jean Prouvé, évidemment ! La Maison tropicale de Brazzaville, jusqu’au 31 décembre, port des Champs-Élysées, en contrebas du pont Alexandre III, 75008 Paris, rens. 01 43 26 89 96, tlj 11h-18h, entrée libre.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°247 du 17 novembre 2006, avec le titre suivant : La preuve par la machine

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