Musée

le choix du conservateur

Pantxika de Paepe : « La qualité des noirs invite à la contemplation »

Conservatrice en chef du Musée d’Unterlinden, à Colmar

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 17 novembre 2006 - 647 mots

COLMART

Pourquoi choisir des gravures ?

Le Musée d’Unterlinden, à Colmar, vient d’acquérir sept gravures de Martin Schongauer. Cet artiste colmarien, né autour de 1450 dans une famille d’orfèvres, se tourne vers la peinture et la gravure. Ses œuvres peintes restent rares (Colmar, Bâle, Berlin, Munich, Malibu) ; ses gravures, en revanche, connurent une postérité sans précédent. Sa biographie est relativement bien connue ; après des études à l’université de Leipzig et un probable séjour aux Pays-Bas méridionaux, il réalise l’essentiel de son œuvre à Colmar. Appelé à Vieux-Brisach, de l’autre côté du Rhin, pour orner l’église d’un Jugement dernier monumental, il y meurt en 1491.

Cent seize gravures de Martin Schongauer sont répertoriées, toutes marquées de ses initiales

« M S » séparées par une croix. Sa production gravée, datée entre 1475 et 1490, est d’inspiration variée : scènes profanes (Paysans allant au marché), représentations d’animaux (Couple de sangliers), pièces ornementales (Ornement à la touffe d’herbe) et bien sûr des thèmes religieux, lesquels restent les plus nombreux (scènes de l’Enfance du Christ, Vie de la Vierge, Passion du Christ…). Sources d’inspiration pour les peintres, sculpteurs, maîtres verriers, ces modèles iconographiques circulaient aisément. L’influence de Schongauer est ainsi tangible tant sur certains reliefs de la Passion (début XVIe siècle) de la cathédrale de Lincoln, en Angleterre, que sur la Dormition de la Vierge peinte en Espagne à la fin du XVe siècle et conservée au Prado, à Madrid, ou encore dans le relief du Noli me tangere sculpté par Tilman Riemenschneider en 1492 pour le retable de l’église de Münnerstadt (Allemagne).
Les sept gravures acquises par le Musée d’Unterlinden font partie de la série de la Passion ; elles illustrent L’Arrestation du Christ, Le Christ devant Pilate, L’Ecce Homo, Le Portement de croix, La Crucifixion, La Descente aux limbes et La Résurrection.
Chacune de ces pièces, tirées à plusieurs centaines d’exemplaires pour répondre à la demande d’une clientèle nombreuse, garde pourtant une entité propre liée à sa qualité technique, à son histoire, à son état.

Encrage parfait
Aucune des quatre-vingt-cinq gravures de Martin Schongauer conservées par le Musée d’Unterlinden se ressemble à une autre. Passé le premier instant d’admiration devant la qualité de la composition, l’invention narrative de la scène, les jeux d’ombre et de lumière, vient l’intérêt renforcé pour le détail particulier et singulier. Dans les gravures de Martin Schongauer, cela devient un jeu. Le filet qui ferme la composition est-il toujours présent ? Aurons-nous la chance de découvrir la trace de la cuvette, empreinte en creux laissée dans le papier par la matrice de cuivre ? La qualité de l’encrage qui s’affaiblit au fil des tirages fait-il ressortir d’un noir profond le réseau de lignes parallèles accolées ? Le revers porte-t-il des tampons de collectionneurs qui, possesseurs de gravure, auraient souhaité y laisser leur marque ? Un filigrane se trouve-t-il dans le papier, permettant de cerner au mieux son lieu de fabrication ? Autant d’éléments qui font toute la richesse d’une gravure et qu’il est possible d’observer sur les sept dernières acquisitions du Musée d’Unterlinden. Cinq comportent un filigrane, toutes ont conservé leur filet, l’une d’elles montre encore la cuvette tandis que les marques des collectionneurs y sont prestigieuses (collection Curtis, double du British Museum…). Surtout, les œuvres donnent à voir un équilibre parfait dans l’encrage entre le rendu systématique et froid des premiers tirages et ceux fades et « sales » tirés sur des plaques émoussées. Ici, la qualité des noirs, leur velouté, leur lumière, invitent à la contemplation.

Ces œuvres d’une qualité exceptionnelle ont pu être acquises grâce au Fonds national du patrimoine, au FRAM (Fonds régional d’acquisition pour les musées), à la Fondation Timken, au groupe Coop Alsace, et à la générosité des donateurs qui ont répondu nombreux à la souscription lancée par le Musée.

Pantxika de Paepe, conservatrice en chef du Musée d’Unterlinden, à Colmar (Haut-Rhin), présente sept gravures de Martin Schongauer (1450-1491).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°247 du 17 novembre 2006, avec le titre suivant : Pantxika de Paepe, conservatrice en chef du Musée d’Unterlinden, à Colmar

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