Henry-Claude Cousseau

Directeur de l’école nationale supérieure des beaux-arts de paris

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 1 décembre 2006 - 1597 mots

Directeur de l’École nationale supérieure des beaux-arts après plusieurs postes, portrait d’un homme feutré militant pour la liberté d’expression qui vient d’être mis en examen dans l’affaire « Présumés Innocents ».

De prime abord, le directeur de l’École nationale supérieure des beaux-arts (Ensba), Henry-Claude Cousseau, donne l’impression d’un grand bourgeois raffiné, hédoniste matissien tendance dandy. « Ce n’est pas un dandy dans le sens véritable du terme, quelqu’un de désespéré qui se raccroche à une belle idée ou un beau vêtement. Le dandy est grave, solitaire, Henry-Claude a besoin des autres », note Didier Semin, enseignant à l’Ensba. Cet amateur de musique baroque, organiste lui-même, s’avère plus ouvert que beaucoup de caciques de l’art contemporain, disponible aux surprises, voire aux contradictions. Son parcours se tresse d’allers-retours entre l’administration centrale et la direction de musée. Agissant plus qu’acteur, communicatif mais pas communiquant, il a mené à bien de grands chantiers, comme celui du Musée de Nantes, sans pour autant scénariser ses actions.

« Henry-Claude n’est pas un homme de places publiques, mais de musée, de bibliothèque, un homme dont l’existence se déroule de manière feutrée », précise Christian Bernard, directeur du Musée d’art moderne et contemporain (Mamco) de Genève. On le voit aussi plus comme une éminence grise que les mains dans le cambouis. L’homme reste marqué par son expérience pénible – qui le poursuit encore – à la tête des musées de Bordeaux et du capcMusée d’art contemporain en particulier. Il semble, depuis, prudent jusqu’à l’excès.

Au point que certains murmurent qu’il baisserait trop vite les bras. « Il n’est pas faible, sinon il n’aurait pas fait la carrière qu’il a faite, mais il est anxieux », glisse un observateur. Bien qu’inquiet, Cousseau n’a jamais brigué de planques, loin s’en faut.

Né à Cholet, entre un père directeur d’une petite société textile et une mère au foyer, Henry-Claude Cousseau est élevé par des grands-parents pépiniéristes. Sa sensibilité le porte très tôt vers la musique baroque, puis, par ricochet, vers la peinture. Il cumule de fait des études de musicologie et d’histoire de l’art. Plutôt que l’enseignement, il opte pour le monde des musées en devenant conservateur des musées de Vendée en 1972. Sillonnant l’Ouest profond, il découvre des établissements oubliés ou décalés qu’il faut faire revivre. Dans ce premier poste, comme dans les suivants, il fait preuve d’une rare curiosité. Ses goûts le conduisent aussi bien vers un Jean Hélion qu’un Sarkis. Dans son écriture même, Cousseau tend moins à ratifier qu’à dégager des perspectives. « Il ne relève pas de tendances, de ces gens qui fonctionnent en pilotage ou en intelligence automatique » , souligne le critique d’art Guy Tortosa. « Il a développé une pensée contradictoire, inquiète, alors qu’il aurait pu asséner des arguments éculés. » « Je suis plutôt du côté de la contemplation minimaliste », observe l’intéressé. « J’ai surtout travaillé sur des artistes qui s’inscrivaient dans des marges. »

Ce sont précisément ces marges qu’il mettra en exergue en prenant la direction, en 1976, du Musée de l’Abbaye Sainte-Croix des Sables d’Olonne. Il fera de cette ville à la Simenon un des hauts lieux de l’art contemporain en France. Le substrat littéraire de Cousseau engendre des expositions mêlant l’art et l’écriture, comme les dessins d’Antonin Artaud en 1980 et l’année suivante, ceux de Roland Barthes. En peu de temps, il monte une collection typée, marquée par la donation Gaston Chaissac, à laquelle se greffent des œuvres de Magnelli ou de Supports-Surfaces. Il enrichit surtout le fonds avec la série des Mythologies et la Fête des mères réalisée par Victor Brauner. Grâce à un travail de haute voltige auprès des édiles, il décroche le principe de l’agrandissement du musée, conduit par son successeur, Didier Semin.

Une expérience nantaise
Lorsqu’il prend la direction du Musée des beaux-arts de Nantes en 1985, après un passage de trois ans à la Direction des Musées de France (DMF), il se voit confier une mission au long cours : le grand chantier de rénovation d’un musée endormi. Cousseau développe alors une vraie politique d’achat, dote les collections de fleurons comme une Forêt de Max Ernst ou un Nu jaune de Sonia Delaunay. Il élabore aussi un ensemble italien autour de Penone, Paolini, Fabro tout en ouvrant la Salle blanche pour montrer de jeunes artistes. « Il mélangeait savamment art ancien, moderne et contemporain, préservait les équilibres tout en allant vers la création très contemporaine », indique le conservateur à Beaubourg Jonas Storsve, qui s’occupait à l’époque de la Salle blanche. En matière d’exposition, « L’Avant-garde russe, chefs-d’œuvre des musées de Russie » en 1993 relève du coup de génie. En pleine Perestroïka, il sera l’un des premiers conservateurs à se rendre dans l’ex-Union soviétique et à se faire ouvrir les portes des musées. « Il a plaidé ce qu’on n’oserait plus aujourd’hui : nous sommes un musée de province, sans moyens. Il a misé sur la sincérité, l’intuition », rappelle Claude Allemand-Cosneau, directrice du Fonds national d’art contemporain (FNAC), qui était conservatrice au Musée de Nantes.

La même année, Cousseau propose à Jean-François Taddei, alors directeur du Fonds régional d’art contemporain (FRAC) Pays de la Loire, d’investir le rez-de-chaussée du musée. À deux, ils réfléchissent même à un projet de lieu regroupant le FRAC et la partie contemporaine du musée, idée qui ne verra pas le jour.

« J’ai besoin qu’on m’aime »
Dans toutes ses fonctions, Cousseau choisit ses troupes à l’affect. « J’aime travailler en équipe, mais j’aime aimer mes équipes, ça veut dire : j’ai besoin qu’on m’aime », confie-t-il. « Il délègue, fait confiance dans les gens avec lesquels il travaille », confirme Marie-Laure Bernadac, son bras droit au capc. «  Il est plutôt organisateur, déteste le côté pratique. » D’une autorité sans agressivité avec ses équipes, il ne joue pas non plus la carte de l’occupation de terrain avec les politiques. « Il arrive à faire passer les choses sans brusquer les gens. Les politiques sont du coup flattés qu’un homme aussi bien élevé puisse les prendre en considération », note Guy Tosatto, directeur du Musée de Grenoble après avoir été son successeur à Nantes. Son savoir-faire se forge lors de ses deux expériences à l’administration centrale. La première étape lui avait accordé la légitimité, que les Sables d’Olonne seuls ne pouvaient lui conférer pour prétendre à la direction du Musée de Nantes.

Le second passage en 1994 s’avère plus insatisfaisant, le périmètre du pouvoir central ayant entre-temps diminué. Son doigté politique ne lui a guère servi à Bordeaux, où il arrive en pompier après la destitution fracassante de Jean-Louis Froment, ancien directeur du capc. Malgré un budget réduit, Cousseau maintient le standing des expositions avec, notamment Cindy Sherman, Anish Kapoor ou « Cities on the Move », tout en menant un programme en partenariat avec les autres musées de la ville. Le ton avec la municipalité tourne au vinaigre en 2000, avec l’exposition « Présumés Innocents », dont le commissariat avait été confié à Stéphanie Moisdon-Tremblay. Alain Juppé, maire de la ville, refuse de l’inaugurer et fait retirer son nom des cartons d’invitation. Deux mois après la fin de l’exposition, l’association La Mouette porte plainte contre les organisateurs pour « diffusion de l’image d’un mineur présentant un caractère pornographique» ! Cette ambiance délétère précipite le départ de Cousseau qui obtient alors la direction de l’Ensba. La procédure a été relancée le 11 novembre 2006. Même si le rapport d’inspection de la brigade des mœurs de l’époque n’avait signalé aucune œuvre présentant un caractère délictueux (lire Le Monde daté du 21 décembre 2000), Henry-Claude Cousseau vient d’être mis en examen le 14 novembre. « Il est aberrant de penser qu’on n’accepte plus la liberté d’expression des artistes, de ceux qui sont là pour décrisper la société. », commente Henry-Claude Cousseau avant de  s’exprimer sur son expérience à l’Ensba, « Cette école représente la synthèse de tout ce que j’ai fait. C’est le seul lieu où j’aurais pu poursuivre ce que j’avais commencé. »

Cueilli à froid par certains enseignants, notamment Mathilde Ferrer, responsable alors de la médiathèque, ses détracteurs lui reprochent d’être dépassé par l’ampleur de la mission, voire de fuir devant les conflits. Pourtant, il a bataillé ferme contre le transfert des collections de dessins à l’Institut national de l’histoire de l’art (INHA). Il a aussi poussé à l’introduction d’un arsenal critique dans les séminaires, conduit la réforme des enseignements aux normes européennes, décloisonné les ateliers et dynamisé le pôle éditorial. À sa façon, Cousseau mène une réforme sans tapages ni cadavres. Les conditions budgétaires restent toutefois misérables, plombées par le désengagement patent de l’État. Les locaux s’avèrent de plus en plus exigus, malgré l’ouverture d’une antenne d’environ 1 000 m2 aux Puces de Saint-Ouen en janvier 2007. L’Ensba doit surtout en découdre avec l’expansionnisme de l’école d’architecture mitoyenne, dont le lobbying est d’autant plus puissant que la Direction de l’architecture et du patrimoine (DAPA) se fait mieux entendre que la Délégation aux arts plastiques (DAP). Pour sauver son école, Henry-Claude Cousseau devra reprendre à zéro le dialogue avec la prochaine équipe gouvernementale. Une tâche de longue haleine.

Henry-Claude Cousseau en dates

1946 Naissance à Cholet.

1976 Directeur du Musée de l’Abbaye Sainte-Croix des Sables d’Olonne.

1982 Conservateur pour le XXe siècle à l’Inspection générale des Musées de Province.

1985 Directeur du Musée des beaux-arts de Nantes.

1994 Chef à l’inspection générale des Musées de France.

1996 Directeur des Musées de Bordeaux.

2000 Directeur de l’École nationale supérieure des beaux-arts (Ensba).

2006 Exposition « Jean-Baptiste Huynh le regard à l’œuvre » jusqu’au 17 janvier à l’Ensba.
Mis en examen dans l’affaire « Présumés innocents »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°248 du 1 décembre 2006, avec le titre suivant : Henry-Claude Cousseau

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