Mécénat

Radiographie du mécénat en France

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 15 décembre 2006 - 1852 mots

Les actions dans ce domaine ont encore progressé cette année n Notre pays est en passe de rattraper son retard par rapport au Royaume-Uni n Au point que son système incitatif pourrait faire des émules en Europe.

Trois ans après la promulgation des nouvelles dispositions fiscales en faveur du mécénat (lire l’encadré), peut-on aujourd’hui en mesurer concrètement les effets ? Rendu public le 13 mars, le bilan statistique annuel de l’Admical (l’association de promotion du mécénat d’entreprise) confirmait déjà la progression du mécénat d’entreprise pour l’année 2005 : 1 milliard d’euros auraient été consacrés par les entreprises de plus de 200 salariés au mécénat en France. En termes d’actions, la culture arrive cette année en deuxième position (32 %), derrière la solidarité (46 %), mais devant l’environnement (10 %), le sport (8 %) et la recherche (4 %) – ces chiffres ne prennent pas en compte les pratiques de mécénat croisé qui associent, par exemple, des actions culturelles et sociales (lire p. 19). Ces taux sont comparables proportionnellement à ceux correspondant aux montants des sommes dégagées par les sociétés, pour le mécénat de solidarité (55 %) et pour la culture (34 %) . Cette dernière est toujours pourvue principalement par les secteurs de la banque et des assurances (47 %), loin devant les entreprises de services (6,3 %) et du luxe (3,3 %). L’étude confirme par ailleurs la nette prédominance de l’apport en numéraire (88 %), et ce malgré un développement de l’échange de compétences et d’un mécénat en nature. Elle révèle que 57 % des entreprises concernées sont localisées en régions. La plus dynamique d’entre elles demeure l’Île-de-France (33,7 % des opérations), même si elles sont plusieurs à se distinguer : Provence-Alpes-Côte-d’Azur (8,9 %), Rhône-Alpes (6,6 %), Basse-Normandie (5,6 %) ou encore Midi-Pyrénées (4,6 %). Enfin, 6,7 % des actions ont lieu à l’international.

Un retard quasi rattrapé
Pour instructives qu’elles soient, ces statistiques de l’Admical ne possèdent, selon le propre aveu de son président Jacques Rigaud,  qu’un « caractère évaluatif et approximatif » et ne sauraient épuiser la réalité du mécénat d’entreprise en France. Si l’association a bénéficié cette année du concours de l’institut de sondage CSA, l’enquête s’appuie sur une base déclarative. Un questionnaire a ainsi été adressé à 2 800 entreprises auquel un peu plus de 600 d’entre elles ont répondu. Or un certain nombre d’initiatives ne font jamais l’objet d’une quelconque publicité. Annoncées pour cette année, les statistiques du ministère de la Culture et de la Communication se font quant à elle toujours attendre. Une étude d’impact sur le poids fiscal du mécénat devrait être menée de concert avec le ministère du Budget, mais tarde à se concrétiser faute de lisibilité des déclarations fiscales des entreprises comme des particuliers sur ce point précis. Par ailleurs, cette étude serait elle aussi lacunaire puisque 45 % des entreprises continuent à ne pas défiscaliser leurs actions. Au-delà des chiffres, la progression perceptible depuis deux ans s’est poursuivie au cours des années 2005 et 2006. « La loi de 2003 a catalysé les démarches », confirme Robert Fohr, responsable de la mission mécénat au ministère de la Culture. Au point que la France aurait rattrapé une bonne partie de son retard, son régime fiscal et juridique étant désormais sensiblement équivalent à celui de ses voisins. Au Royaume-Uni, 1,39 milliard d’euros auraient ainsi été consacrés à des actions de philanthropie en 2005, ce qui peut sembler faible dans le contexte de la culture anglo-saxonne au regard du milliard français. Les États-Unis restent toutefois loin devant avec 10,8 milliards d’euros (source Admical). Dans son ouvrage axé sur la culture en Amérique, le sociologue Frédéric Martel (lire p. 4) propose de son côté des estimations exclusivement relatives au secteur culturel : 1,56 milliard de dollars (1,2 milliard d’euros) seraient abondés par les entreprises ; environ 3,6 milliards de dollars proviendraient des fondations, le total des sommes allouées à la philanthropie (dons et legs des particuliers inclus) étant évalué à 13,4 milliards de dollars. « Je me félicite qu’il puisse encore y avoir un retard français dans le domaine du mécénat culturel, commente Jacques Rigaud. Le contraire signifierait qu’il existe un désengagement de l’État, ce que nous ne souhaitons pas. » Selon le président d’Admical, l’existence d’une relative frilosité dans le domaine ne serait donc qu’une conséquence vertueuse de l’exception culturelle et sociale française.

La musique et les arts plastiques d’abord
En matière d’actions culturelles, l’étude de l’Admical révèle les goûts des entreprises mécènes, plus attirées par la musique (avec plus d’un tiers des actions de mécénat) et les arts plastiques (13,1 %) que par le patrimoine (8,1 %) et les musées (8 %). La photographie, pourtant bien portée par de grands mécènes tels que la Fondation HSBC, Alcatel, Neuflize Vie ou Jaeger LeCoultre, ne remporte que 5,9 % des opérations, les indigents restant le spectacle vivant – le secteur le plus subventionné par le ministère de la Culture –, mais aussi l’architecture et le design, deux domaines qui requièrent davantage d’inventivité de la part des mécènes. L’achat d’œuvres patrimoniales ou d’artistes vivants, incité par de nouvelles dispositions, n’a toutefois rencontré qu’un succès relatif. Depuis la loi du 4 janvier 2002, une douzaine d’entreprises seulement ont utilisé le dispositif des trésors nationaux, avec cent cinquante œuvres entrées dans onze musées pour une somme de plus de 55 millions d’euros. Citons parmi elles l’ensemble des 130 dessins italiens acquis par ce biais grâce à l’aide de Carrefour en 2004. Cette année, sept trésors nationaux sont entrés dans les collections publiques (lire l’encadré), dont quatre au bénéfice du Louvre.
Ces tendances révèlent le rôle majeur des entreprises, qui constituent, selon Jacques Rigaud, « un tiers secteur de financement entre les fonds publics et le marché ». Le potentiel de développement reste toutefois important, puisque seules 18 % des entreprises de plus de 200 salariés sont impliquées dans le mécénat et 55 % d’entre elles s’avouent tentées par une augmentation de ce budget. La tendance confirme par ailleurs la volonté d’ancrage de ce mécénat dans des choix stratégiques de longue durée, au détriment des événements ponctuels. Pour preuve, la poursuite du mouvement de création de fondations d’entreprise. Au total, vingt-trois nouvelles fondations ont vu le jour depuis le début de l’année 2006, la majeure partie d’entre elles émanant de PME. Trois annonces majeures ont marqué l’année 2006 : les créations de la Fondation d’entreprise Ricard, de la Fondation Louis-Vuitton pour la création (lire le JdA no 244, 6 octobre 2006, p. 2 et 36) et de la Fondation Marc de Lacharrière – Culture et Diversité (lire p. 19).

Une mission peu pourvue en postes
De son côté, le ministre de la Culture répète à l’envi que mécénat ne rime pas avec désengagement de l’État. Jacques Rigaud déplore pourtant que « le ministère de la Culture met[te] encore en avant le mécénat à destination des institutions publiques et met[te] moins l’accent sur le mécénat culturel qui entre dans le cadre d’initiatives originales, or la part d’innovation est essentielle et doit exister à côté des grands systèmes de distribution ». Malgré leur promotion, le ministère ne dote pas les établissements publics de structures dédiées exclusivement à la recherche de mécénat. Le directeur d’un grand musée nous confiait ainsi récemment s’être vu refuser par sa tutelle la création d’un poste à cet effet. Seul le Louvre dispose d’une équipe digne de ce nom pour attirer les mécènes, tandis que le Musée du quai Branly fonctionne avec une direction du mécénat composée de trois personnes. À Versailles, aussi paradoxal que cela puisse paraître, une seule personne est chargée de cette mission. Ici comme ailleurs, ce sont bien souvent les sociétés des amis du musée qui drainent des fonds. Et la course aux mécènes entraîne quelques dérives. Ainsi, la société Moët Hennessy (groupe LVMH), mécène des « Rendez-vous aux jardins », a pu obtenir en contrepartie de son engagement le prêt temporaire de deux bronzes coulés d’après l’antique par les frères Keller, statues qui n’avaient jamais quitté les jardins de Versailles depuis leur installation en 1701 !
L’action de la mission mécénat au sein du ministère se limite encore à la promotion des nouveaux dispositifs. Après avoir signé un protocole avec l’Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie (ACFCI) et le Conseil supérieur du notariat, elle a conclu le 22 novembre un nouvel accord avec l’ordre des experts-comptables. Malgré cette inertie, l’impact des lois de 2003 a eu une conséquence inattendue : faire de la France un laboratoire dans le domaine pour un certain nombre de pays européens. En 2006, les autorités belges étudiaient ainsi l’idée d’un projet de loi similaire tandis qu’aux Pays-Bas, en Grèce, en Croatie, au Portugal et en Italie les effets en sont suivis avec la plus grande attention.

À lire  : Répertoire du mécénat d’entreprise 2007, éd. Admical, Paris, 2006, 606 pages, 75 euros ; L’Essor du mécénat culturel en France, éd. du ministère de la Culture et de la Communication, Paris, 2006, 142 p ; Frédéric Martel, De la culture en Amérique, éd. Gallimard, Paris, 2006, 622 p., 32 euros.

Les trésors nationaux entrés dans les collections publiques en 2006 grâce au mécénat


Un bodhisattva monumental datant probablement du VIe siècle entre dans les collections permanentes du Musée Guimet (Paris) grâce au mécénat d’Areva pour 2,5 millions d’euros en janvier 2006 (voir « une » du JdA no 243, 22 septembre 2006). .Un Portrait de Charles Marcotte d’Argenteuil (graphite sur papier) signé Ingres rejoint les collections du Musée du Louvre (Paris) grâce au mécénat d’ArjoWiggins (groupe Sequana Capital) pour 989 000 euros en février 2006. .Une châsse limousine des années 1200 consacrée à l’Adoration des mages a été acquise pour le Musée national du Moyen Âge – Thermes et hôtel de Cluny (Paris) grâce au mécénat de CNP Assurances (850 000 euros) en avril 2006. .Un papyrus médical égyptien datant du Nouvel Empire a été acquis pour le Musée du Louvre grâce au mécénat d’Ipsen (670 000 euros) en juin 2006. .La Sainte Madeleine (huile sur panneau) de Quentin Metsys a rejoint le département des Peintures du Musée du Louvre grâce à la Caisse centrale du Crédit immobilier de France pour 2,5 millions d’euros en juin 2006. Inventé par Guillot et exécuté par Antoine Wolff en 1773, le « tour à guillocher » du comte d’Artois a retrouvé son lieu d’origine, le château de Versailles, grâce au mécénat de la société Lusis (187 000 euros) en juillet 2006. .Le Projet de décor pour un dessus-de-porte (XVIIIe siècle) de Giambattista Tiepolo ira enrichir le département des Peintures du Musée du Louvre grâce à l’entreprise Ponthieu Rabelais, qui a versé 550 000 euros en septembre 2006. Le ministère de la Culture a lancé le 29 novembre un avis d’appel au mécénat d’entreprise pour l’acquisition par la Ville de Tours de deux trésors nationaux. Le Christ bénissant et La Vierge en prière (vers 1480, 60 x 40 cm), huiles sur bois marquées par l’influence de Jean Fouquet, constituent un rare témoignage de l’art de l’école française dite « de Tours ». Leur valeur d’achat est fixée à 700 000 euros. Rens. : 01 40 15 83 97 ou mission-mecenat@culture.gouv.fr

Rappel : les incitations fiscales de la loi du 1er août 2003

Pour les entreprises .Crédit d’impôt égal à 60 % de la somme versée, dans la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires (hors taxes). Si le plafond est dépassé, l’excédent peut être reporté au titre des cinq exercices suivants. Cette déduction est admise pour des opérations ponctuelles à l’étranger menées via des organismes d’intérêt général français (siège et activité principale en France). Les contreparties sont admises à hauteur de 25 % du montant du don, sans plafonnement. .En ce qui concerne les achats d’œuvres originales d’artistes vivants : déduction du montant de l’achat par fractions égales sur cinq ans, dans la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires. L’œuvre est toutefois soumise à une condition d’exposition publique. Les œuvres ainsi acquises sont par ailleurs exonérées de la taxe professionnelle. Pour les particuliers .Réduction d’impôt de 66 % du montant du don dans la limite de 20 % du revenu imposable. L’excédent peut être reporté sur les cinq années suivantes. Les contreparties sont autorisées à hauteur de 25 % du montant du don, mais dans une limite forfaitaire de 31 euros. Une partie du produit de succession versée par un organisme d’intérêt général peut être soustraite des droits de succession. Cas particulier des trésors nationaux .Réduction de l’impôt sur les sociétés de 90 % du montant du don, sous certaines conditions. À noter : tout organisme bénéficiaire doit délivrer au donateur un reçu fiscal ou une confirmation de l’administration fiscale de l’ouverture d’un droit à réduction d’impôt.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°249 du 15 décembre 2006, avec le titre suivant : Radiographie du mécénat en France

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