Paroles d’artiste

Andres Serrano

« Une encyclopédie de personnages représentant mon Amérique »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 15 décembre 2006 - 804 mots

La première exposition rétrospective d’Andres Serrano (né en 1950 à New York, où il vit et travaille) en France, à la Collection Lambert en Avignon, permet, à travers plus de cent cinquante photographies, de parcourir l’ensemble de son œuvre. Toutes les séries importantes y sont représentées, telles « The Morgue » (1992) ou « Immersions » (1987-1989). De moins connues aussi comme « The Objects of Desire » (1992), dont les clichés montrent des détails d’armes très stylisés. Empreint d’une grande cohérence, l’ensemble se révèle fascinant et parfois émouvant.

Les titres de vos séries sont inscrits sur les murs en caractères gothiques, ce qui imprime une atmosphère particulière au lieu. Est-ce un choix de votre part ?
Pas du tout, mais peu de gens savent que, depuis plus de dix ans, je collectionne des objets, peintures et sculptures allant du XIVe au XVIIe siècle. Ces caractères gothiques sont donc parfaits pour moi. Je pense qu’ils reflètent ce que je suis en tant qu’artiste et collectionneur. Je suis tourné vers cette esthétique… gothique, catholique, classique.

Quelle est votre relation à la religion ?
Même si je ne pense pas nécessairement à la religion et au christianisme tous les jours, ils apparaissent dans mon travail. J’ai eu une éducation catholique jusqu’à l’âge de 12 ou 13 ans, puis j’ai cessé d’aller à l’église et de penser à Dieu pendant vingt ans. C’est seulement parvenu à la trentaine, lorsque j’ai réalisé mes premières œuvres, que je me suis vu conduit par la religion comme par un puissant aphrodisiaque, personnellement et dans mon travail. Quand je dis aphrodisiaque, cela renvoie à un désir d’examiner et d’être partie prenante de quelque chose comme la nature. Même si je ne suis pas catholique pratiquant, j’aime être entouré d’objets religieux. J’aime aller dans les églises plus que dans les musées.

Beaucoup de vos séries sont liées à la mort, telles : « The Objects of Desire », « The Morgue », « Klansman »… Comment l’envisagez-vous ?
Je ressens la même chose que tout le monde, mais en même temps, je vois la mort comme une partie de la vie. Par exemple, pour « The Morgue », je n’ai jamais pensé que ces gens étaient des corps sans vie, je n’en ai jamais parlé en tant que cadavres. Je les vois toujours comme des personnes, car même dans la mort, ils expriment quelque chose, une humanité.

Votre travail en général est-il une tentative de sublimer l’horreur et le désastre ?
Je pense que mon travail est une tentative de « monumentaliser » et de rendre belles les choses qui ne sont pas supposées l’être, qui posent question ou sont inacceptables. Si, en tant qu’artiste, je faisais seulement de jolies images à partir de jolis objets, ce serait vraiment sans intérêt.

Il y a cette déclaration de vous dans la salle des « Morgue » : « Faire référence à l’art classique serait perçu comme une provocation d’avant-garde. »
Je me considère souvent comme un artiste classique, du passé, mais je suis aussi un artiste conceptuel, contemporain. Si, d’un point de vue formel, je me sens appartenir à une tradition, en termes de contenu, je pense que je suis très contemporain.

Toutes vos séries prennent place dans des contextes sociaux différents. Tentez-vous de porter un regard encyclopédique sur la société ?
Mon travail est très instinctif. J’ai l’habitude de dire qu’une image en amène une autre et que, souvent, une série en amène une autre. Mais quand, en 2004, j’ai réalisé avec Taschen le livre America: And Other Work, j’ai créé non seulement mon propre vocabulaire ou langage, mais une forme d’encyclopédie. Je suis un produit de la société et j’ai envie de l’être. La société américaine est aussi devenue un produit du monde de l’art, et je crois que mon travail reflète beaucoup de choses qui nous entourent.

À propos de la série « America » (2002-2004), qui portraiture tous les types d’États-Uniens, comment avez-vous choisi les personnages ?
« America » est venue à moi presque comme un appel. C’était après le 11 septembre 2001. J’ai commencé à faire des portraits qui, au début, se référaient spécifiquement à cet événement, puis, peu à peu, ils ont renvoyé à l’Amérique elle-même. Le 11-Septembre a été une attaque contre l’Amérique et j’ai senti que, pour l’essentiel, les gens qui l’ont attaquée ne savaient pas ce qu’elle est ni qui elle est. J’ai ensuite ouvert très largement le choix des sujets, jusqu’à aller vers des gens qui représentent une partie de l’Amérique que même l’Amérique ne veut pas regarder en face, comme un néo-nazi. Au fur et à mesure, j’ai consciemment tenté de faire une encyclopédie de personnages représentant mon Amérique.

ANDRES SERRANO. LA PART MAUDITE

Jusqu’au 11 février 2007, Collection Lambert en Avignon, 5, rue Violette, 84000 Avignon, tél. 04 90 16 56 20, www.collectionlambert.com, tlj sauf lundi 11h-18h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°249 du 15 décembre 2006, avec le titre suivant : Andres Serrano

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