Périodiques

La critique à différentes vitesses

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 3 août 2007 - 803 mots

Panorama des dernières livraisons des revues d’art contemporain qui alimentent chacune à leur manière la réflexion.

Paradoxe de la situation contemporaine du débat critique : il manque, dit-on volontiers, de vigueur et d’engagements. Nombreuses sont pourtant les publications périodiques à afficher le parti de la critique. Mais en suivant des logiques intellectuelles, éditoriales et économiques très diverses. Alors que la presse générale pratique plutôt le commentaire d’accompagnement, au fil du calendrier de l’événement, le temps souvent rétrospectif de la critique fait défaut.

Perspective salutaire
Quel format adopter ? sur papier glacé ou en ligne, en kiosque ou gratuit ? quelle périodicité ? Loin des recettes miracles, quelques titres de grande diffusion, au-delà de leurs qualités propres, dessinent des positions éditoriales et critiques particulières.
Sur le format classique du magazine, attaché à la diffusion en kiosque, Art 21 sort son numéro 10 après deux ans d’existence sur un rythme (presque) bimestriel. Le rédacteur en chef et fondateur du magazine, Frédéric Wecker, s’est entouré d’auteurs jeunes que l’on n’a pas ou peu lus ailleurs. En première partie, les articles développent, souvent sur une dizaine de pages, une figure d’artiste (John M. Armleder), une exposition (« Le mouvement des images », au Musée national d’art moderne [MNAM]) ou une question (« L’art public autour des tramways »). Les papiers tentent des analyses qui ne décollent pas toujours vers l’ambition théorique affichée au travers des citations et références, mais restent informatifs et accessibles. Côté comptes rendus critiques, pour la seconde partie, les choix d’expositions sont assez ouverts (Guy de Cointet au CRAC de Sète, Pierre Savatier à la Galerie Édouard-Manet à Gennevilliers, Felix Gonzalez-Torres au NGBK à Berlin, mais aussi le Palais de Tokyo et le MNAM à Paris). Des artistes comme Olivier Soulerin (pour un portfolio peu convaincant) et Bertrand Planes rajeunissent l’horizon du numéro.
Entre livre et revue, 20/27, édité par Pierre Denan par le biais de la structure éditoriale qu’il anime, « M19 », se dit revue annuelle de « textes critiques sur l’art ». Sur un principe essentiellement monographique (à l’exception notable d’Elisabeth Wetterwald se penchant sur un corpus de pièces silencieuses qu’elle réunit au revers du bavardage relationnel, et d’Olivier Michelon qui retrace le paradigme du mix dans la surenchère sonore du dub et du soundsystem), les seize études roboratives sont accompagnées de reproductions soignées imprimées sur un beau papier, qui rattache la publication au beau livre.
Le texte s’en trouve néanmoins toujours en belle page. De Robert Morris (Jean-Pierre Criqui) à Hugues Reip (Michel Gauthier, directeur éditorial avec Arnauld Pierre), les artistes sont tous confirmés, à l’instar des auteurs (Thierry Davila, Patricia Falguières, Patrick Javault…) ; le tout est sérieux, dense. Manque cependant l’esprit de la surprise ou de la découverte, même s’il peut vite s’user dans une publication destinée à durer.
Libéré par le mensuel de l’information et du calendrier, le trimestriel Art press 2 parvient avec son numéro 3 à un équilibre entre ambition problématique et format périodique, sous le titre de « Cynisme et art contemporain ». Entre dimension philosophique (texte d’ouverture de Jean-Pierre Cometti) et lecture d’œuvre (Maurizio Cattelan versus Gianni Motti par Claire Jacquet, copilote de la publication avec Christophe Kihm), le numéro laisse la place à plusieurs textes d’artistes comme Sarah Morris ou Saverio Lucariello, avec des notions propres tel le « Suitologisme Catafalquist ». Il propose aussi des lectures de la production et de la scène artistique contemporaine à contre-pied de la duplicité qui y serait souvent active. La tentative de déjouer les appareils du pouvoir prend ici le tour d’une critique de la « critique de bonne conscience », le cynisme de cour désigné par Cometti s’habillant à l’occasion des atours de la résistance. Jusqu’au point où, au jeu du paradoxe et du retournement, les contributions finissent par se prendre (le cynique n’est pas celui que l’on croit). La perspective demeure cependant salutaire.
Pour rendre compte de la diversité des positions éditoriales, il faut encore évoquer le rôle de l’institution dans la vie des périodiques, avec deux objets très différents. Ainsi d’une revue annuelle d’école : Inframince, sous-titrée « Cahiers de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles ». La photographie y est interrogée et montrée, assez classiquement, assez littérairement. Tout autre est l’initiative du Palais de Tokyo avec Palais, son magazine trimestriel qui ne cache guère son côté publi-reportage. L’institution ici ne contribue pas à clarifier les débats !

- Art 21, n0 10, janvier/février 2007, 78 p., 5,90 euros en kiosque ; - 20/27, n0 1, 2007, 272 p., 29 euros en librairie ; - Art press 2, n0 3, « Cynisme et art contemporain », novembre 2006-janvier 2007, 98 p., 9,50 euros, en kiosque ; - Inframince, n0 2, coéd. Actes Sud/ENSP, Arles, 156 p., 18 euros, en librairie ; - Palais, n0 1, automne-hiver 2006-2007, 96 p., en librairie et kiosque.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°251 du 19 janvier 2007, avec le titre suivant : La critique à différentes vitesses

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