Surréalisme

Objets dérivés

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 2 août 2007 - 762 mots

Le Victoria and Albert Museum à Londres se penche sur le volet arts décoratifs du mouvement.

 Londres - Il faut posséder un certain culot pour faire une exposition qui ne traite du surréalisme que son volet « arts décoratifs ». Car, dès les années 1930, ce sujet divisait les surréalistes en deux camps : celui pour qui cette irruption dans le monde du commerce allait à l’encontre des principes chers au mouvement et celui qui, au contraire, voyait cette incursion comme bénéfique. L’exposition « Surreal Things, Surrealism and Design », présentée au Victoria and Albert Museum, à Londres, montre comment les designers se sont inspirés du surréalisme et, en parallèle, de quelle façon les artistes surréalistes ont abordé l’« objet », que ce soit à travers le théâtre, la mode, le design ou encore le graphisme.

Dalí, roi de la fête
D’emblée, le décor est planté, avec une scénographie plutôt pompeuse : un immense rideau de velours rouge s’entrouvre sur les décors et les costumes du ballet Le Bal, dessinés en 1929 par Giorgio De Chirico. L’exemple, pesant en guise de mise en bouche, a néanmoins le mérite de témoigner pleinement à travers la danse de la première excursion des surréalistes hors du domaine stricto sensu de l’art. Les fameux Ballets russes, alors sous la direction artistique de Serge Diaghilev, seront d’ailleurs très friands de leurs créations. Diaghilev commissionnera Max Ernst et Joan Miró pour réaliser les décors et les costumes d’un Roméo et Juliette de légende, lequel cristallisa en son temps le fameux débat sur la moralité de cette liaison (dangereuse) entre l’art et le monde commercial.
Le parcours s’allège fort heureusement par la suite pour dérouler un panorama exhaustif – quelque trois cents œuvres – par le biais de thématiques : la décoration intérieure, l’influence de la nature, le design et le biomorphisme, le corps et la mode, le graphisme ou la publicité. On retrouve en bonne place quelques icônes telles L’Énigme d’Isidore Ducasse – une machine à coudre ligotée dans un textile – et le Cadeau Audace – un fer à repasser serti de clous – de Man Ray, le Porte-bouteilles de Duchamp et la toile Le Modèle rouge de Magritte, deux pieds en forme de chaussures, ou l’inverse. Et Salvador Dalí apparaît comme le roi de la fête avec, notamment, son Téléphone-Homard et son canapé Mae West Lips en satin rose shocking, tous deux conçus avec et pour le collectionneur Edward James.
Si la pensée surréaliste, qui a marqué en profondeur la société, s’est immiscée jusque dans les objets du quotidien, il semble que ce « quotidien » resta la plupart du temps au stade de concept. Il y a sans aucun doute une bonne part d’exploration du rêve et de l’irrationnel dans les formes libres des tapisseries de Miró ou du mobilier d’Isamu Noguchi. Tout comme dans ces deux étonnantes garde-robes – celle anthropomorphe de Leonor Fini qui mêle courbes du corps féminin et ailes de cygne, et celle de Marcel Jean qui arbore en trompe l’œil des portes semi-ouvertes sur un paysage campagnard. Idem avec cet appartement paradoxal conçu par Le Corbusier pour le millionnaire mexicain Carlos de Beistegui. Un amusant film d’époque montre d’un côté une esthétique qui suit les principes de l’architecture moderne, de l’autre une terrasse insolite avec sa cheminée Grand Siècle donnant sur l’avenue des Champs-Élysées, à Paris. D’autres surprises du genre attendent le visiteur comme ces merveilleux bijoux dessinés par Calder, ces deux étonnantes Mains en porcelaine du designer et architecte italien Gio Ponti, ou encore, une reconstitution à échelle réduite de la célèbre galerie new-yorkaise de Peggy Guggenheim, Art of This Century, jadis aménagée par Frederick Kiesler.
La démonstration s’achève avec éclat sur une multitude de robes d’Elsa Schiaparelli dont les étranges robes du soir Squelette – et ses reliefs tels des os saillants – et Larme – qui arbore un motif dessiné par Dalí. Pour la vitrine de sa boutique sise place Vendôme à Paris, la créatrice de mode avait commandé au décorateur Jean-Michel Frank une structure en bambou telle une cage à oiseaux surdimensionnée. Elle y vendait un parfum pour homme, Snuff, dans un flacon en forme de pipe. Outre l’hommage évident à l’œuvre de Magritte (Ceci n’est pas une pipe), Schiaparelli ajoutait alors une épaisseur nouvelle à la notion de réalité : la dimension sensorielle. L’illusion n’en fut que plus savoureuse

SURREAL THINGs, SURREALISM AND DESIGN

Jusqu’au 22 juillet, Victoria and Albert Museum, South Kensington, Cromwell Road, Londres, tél. 44 20 79 42 20 00, www.vam.ac.uk, tlj 10h-17h45, vendredi jusqu’à 22h. Catalogue en anglais, env. 59 euros, ISBN 978-1-851-77500-2.

SURREAL THINGS

- Commissaire de l’exposition : Ghislaine Wood, conservatrice au Victoria & Albert Museum - Nombre d’objets présentés : 300 (peinture, sculpture, film, photographie, mobilier, céramique, vêtement, bijoux, édition…). - Nombre de sections : 8

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°257 du 13 avril 2007, avec le titre suivant : Objets dérivés

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