Profession

Batteur d’or

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 30 juillet 2007 - 783 mots

La feuille d’or, utilisée par les artisans d’art et les métiers de bouche, résulte
d’un savoir-faire spécifique, perpétué par une seule maison française.

Le Dôme des Invalides, la flamme de la Statue de la Liberté, à New York et à Paris, le Shakespeare’s Globe Theatre de Londres, plusieurs églises orthodoxes... Tous ces chantiers prestigieux ont eu recours au savoir-faire de la maison Dauvet, fabricant de feuilles d’or depuis 1834, installée aujourd’hui à Excenevex (Haute-Savoie), sur les bords du lac Léman. Celle-ci est aujourd’hui la dernière fabrique traditionnelle hexagonale, quelques autres étant recensées en Italie, en Allemagne, en Angleterre et en Autriche. « Après la Révolution, on peut estimer à environ 5 000 le nombre de personnes qui travaillaient dans ce secteur à Paris, raconte Bernard Dauvet. Aujourd’hui, elles ne sont pas plus de 5 000 dans le monde entier ». Employée déjà par les Égyptiens, la feuille d’or a été appréciée pour sa durabilité en Inde, en Phénicie, en Grèce et à Rome. Dès le VIe siècle, elle fut également très utilisée par les enlumineurs pour l’ornementation en lettres d’or des manuscrits précieux. Représentant la 5e génération de batteurs de la famille, Bernard Dauvet est logiquement tombé dans le métier dès son plus jeune âge. Par prudence, « au cas où l’entreprise aurait fait faillite », il a toutefois suivi des études de droit à Paris avant de revenir dans le giron de l’entreprise familiale, en 1974. Après avoir employé une cinquantaine d’ouvriers, la maison Dauvet n’en compte aujourd’hui plus qu’une vingtaine. La mécanisation a, en effet, réduit les étapes de fabrication des feuilles. Seuls deux battages sont désormais nécessaires, quand il en fallait quatre il y a une cinquantaine d’années. En l’absence de formation spécifique, le personnel qualifié se fait rare, les ouvriers spécialisés apprenant le métier en interne.
La technique résulte d’une succession d’étapes qui permettent d’étirer l’or par battage jusqu’à l’obtention d’une feuille d’une épaisseur d’environ 1/10e de micron. Le travail s’effectue à partir d’un lingot d’or fin. Fondu, il sert à la réalisation d’alliages permettant d’obtenir une palette de teintes variées (seize chez Dauvet). Le cuivre qui, en premier lieu, durcit l’or, permet ainsi d’obtenir, lorsqu’il est dosé à 5 %, un or rouge, alors que l’argent, utilisé dans une même proportion, donnera un or couleur citron. D’autres métaux tels que le platine et le palladium peuvent également être employés. Suivent une série d’étapes très spécifiques destinées à étirer l’or, matériau très ductile. L’alliage est d’abord laminé par le forgeur afin d’obtenir un long ruban d’environ 40 m de long par 4 cm de large, appelé le caucher de forge. Celui-ci est ensuite coupé en 1 000 quartiers de 4 cm de côté, qui sont placés par une ouvrière spécialisée, l’apprêteuse, dans un empilement spécial de feuilles de papier carbone (le chaudret). Frappé au marteau automatique par le dégrossisseur, l’or s’étire sur la surface des feuilles du chaudret. Les piles sont ensuite redécoupées au massicot, puis les nouveaux quartiers sont retirés un à un du chaudret et placés dans une moule (un autre assemblage de feuilles) qui va subir un nouveau battage, cette fois-ci avec un marteau plus léger. Une seconde ouvrière spécialisée – la videuse – vide enfin la moule des feuilles obtenues. Très fines, celles-ci sont recoupées à l’aide d’un roseau pour obtenir des bords francs, avant d’être placées dans un livret. Une fois le débord et les bavures éliminés, le livret contenant les feuilles peut être vendu au client. « La fabrique des feuilles d’or produit beaucoup de déchets, explique Bernard Dauvet. Avec un lingot de 400 g, nous n’obtenons que 100 g de feuilles ». Ces déchets sont toutefois réemployés dans les alliages ou sont vendus sous forme de paillettes.

Nouveaux procédés
Parmi ses clients, la maison Dauvet compte de nombreux artisans professionnels : doreurs, marbriers funéraires, encadreurs, relieurs, gainiers d’art… mais aussi certains métiers de bouche, notamment les chocolatiers qui dorent leurs palets à la feuille. Le marché de la dorure s’est pourtant largement contracté au cours de ces dernières années. Changement de mode, d’une part, mais aussi préoccupations d’un nouvel ordre. Jusque dans les années 1950, la dorure à la feuille était, en effet, fréquemment utilisée sur des cartons d’emballages ou encore sur les tranches de livres ou d’agendas. Or, de nouveaux procédés, l’or pulvérisé sous vide puis l’aluminium pigmenté, l’ont remplacé, « pour des raisons économiques mais aussi écologiques, reconnaît Bernard Dauvet, car une grande quantité d’or était ainsi jetée à la poubelle ». Ces marchés ont donc disparu. À cela s’ajoute l’apparition d’une concurrence nouvelle : celle de l’or battu chinois. Une sérieuse menace pour cette technique ancestrale dont, malgré la mécanisation, l’essentiel du coût de fabrication demeure humain.

Formation

Il n’existe pas de formation spécifique au métier de batteur d’or. - DAUVET SA, 74140 Excenevex, tél. 04 50 72 81 01, www.dauvet.fr

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°260 du 25 mai 2007, avec le titre suivant : Batteur d’or

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