Vincennes

Le donjon de nouveau d’aplomb

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 30 juillet 2007 - 864 mots

Après onze années de fermeture et quinze ans de travaux, la résidence de Charles V rouvre enfin au public aux portes de Paris.

 VINCENNES - Avis aux amateurs de résidences royales : filez à Vincennes, tant que le lieu est encore préservé des hordes de touristes. Car si, pour l’heure, peu de gens se bousculent pour visiter le château et son donjon, celui-ci constitue pourtant le dernier témoin des palais royaux médiévaux français, tous les autres ayant été détruits. Certes, le lieu n’a rien de frivole et présente, au contraire, toutes les caractéristiques de la forteresse inexpugnable. Construit de 1360 à 1369, au début de la Guerre de Cent ans, par Jean le Bon (1350-1364) puis son fils Charles V (1364-1380), le site a toujours été considéré comme une place de sûreté pour les souverains, à la fois proche et éloigné de la capitale, notamment depuis la sanglante révolte d’Étienne Marcel (1357). L’histoire se répétera, puisque c’est après la Fronde, au XVIIe siècle, que la cour s’installera de nouveau, mais de manière provisoire, à Vincennes, où est aménagé un Château Neuf, au sud du site, plus confortable que le vieux donjon. Plus tard, le Général de Gaulle aurait à son tour songé à s’y installer…

Somptueuses commandes
Siège de la cour de Charles V, Vincennes fait l’objet de toutes les attentions du roi, les travaux engloutissant de 2 à 3 % du budget du royaume. De somptueux décors peints et sculptés sont commandés (la plupart ont disparu), une Sainte Chapelle est érigée à l’intérieur de la vaste enceinte, dont la construction débute en 1370 pour protéger un ensemble de bâtiments qui forment une véritable ville administrative auprès du roi. Après la mort de Charles V, Vincennes est pourtant rapidement délaissée, ses successeurs s’installant dans le Berry puis le Val de Loire. Au XVIe siècle, François Ier puis Henri II ordonnent l’achèvement de la chapelle, qu’ils dotent de somptueux vitraux, dont un cycle de l’Apocalypse encore visible dans le chœur. Puis vient la construction du Château Neuf sous la direction de l’architecte Louis Le Vau, qui prend soin de préserver le donjon, symbole de la puissance royale, mais fait disparaître les restes d’un vieux manoir capétien. Occupé brièvement par Louis XIV, Vincennes est abandonné au profit de Versailles en 1671. Les souverains n’y reviendront plus. Suit une période d’affectations diverses (manufacture de porcelaine, école militaire, arsenal, prison…) avant que les services des armées ne colonisent progressivement les lieux, rajoutant çà et là casemates et baraquements, arasant huit des neufs grandes tours de l’enceinte. Le site est toutefois préservé grâce à cette occupation mais se meurt doucement.
En 1988, grâce à l’initiative de Jean-Philippe Lecat, ancien ministre de la Culture, une commission interministérielle du Château de Vincennes est créée pour réfléchir à l’avenir de ce lieu chargé d’histoire, placé sous la double responsabilité de la Culture et de la Défense. Suivront de longues années d’études et de diagnostics, menées par Dominique Moufle, architecte en chef des monuments historiques, alors que l’intégralité du site est fouillée sous la direction de Jean Chapelot, directeur de recherche au CNRS. Suite à la découverte d’une fragilité structurelle du donjon, celui-ci est fermé au public pour des raisons de sécurité, en 1995. Son architecture est en cause. Afin de privilégier le confort intérieur de cette construction militaire à usage d’habitation, le maître d’œuvre avait en effet pris le parti d’aménager une vaste pièce carrée à chaque niveau, couverte d’une voûte ne reposant que sur une mince pile centrale. Avec le temps et les mouvements de terrain, ces piles, présentes à chaque niveau, s’étaient logiquement fragilisées. D’où la nécessité de les renforcer. Mais ces travaux ont aussi été l’occasion de conforter les connaissances sur l’emploi du fer dans la construction médiévale. L’ensemble du donjon était ainsi renforcé de tirants fichés dans les sols, ses murs étant ceinturés de métal. Connu pour la Sainte Chapelle de Paris, ce dispositif n’avait pas été identifié auparavant dans l’architecture militaire. Les restaurations ont ensuite porté sur des éléments plus traditionnels : remplacement des blocs de pierre altérés, restitution des culots et garde-corps sculptés.

Nouvelle scénographie
Rendre attractif le lieu n’était toutefois pas chose aisée. Une nouvelle scénographie, articulée autour de la personnalité de Charles V, a donc été mise en place, dans le respect des circulations d’origine. Celle-ci permet d’évoquer la richesse des collections du roi, qui conservait à Vincennes ses manuscrits les plus précieux. La Bibliothèque nationale de France a accepté de prêter jusqu’au 16 septembre un exemplaire du manuscrit des Grandes chroniques de France ayant appartenu au roi. Un lutrin numérique permet de consulter d’autres ouvrages. Une vitrine, numérique elle aussi, offre par ailleurs la possibilité de visualiser quelques pièces d’orfèvrerie ayant appartenu à Charles V. Des contraintes en termes de capacité d’accueil ont toutefois interdit l’accès des niveaux supérieurs aux visiteurs individuels. De même, la totalité du site n’est pas encore ouverte au public. La Sainte Chapelle ne rouvrira ses portes qu’en 2008 alors que le Château Neuf – où demeurent quelques décors dus au pinceau de Philippe de Champaigne – occupé par le service historique des armées, reste toujours porte close.

Château de Vincennes

Avenue de Paris, 94300 Vincennes, tél. 01 48 08 31 20, www.monuments-nationaux.fr, tlj 10h-12h et 13h-18h (17h à partir du 1er septembre).

Donjon de Vincennes

- Maître d’œuvre : Dominique Moufle et Gabor Mester de Paradj, architectes en chef des monuments historiques - Scénographie du parcours de visite : Itinérance - Œuvres numériques et audiovisuelles : Ubiscène - Coût total des travaux du site : 33 524 300 euros, pris en charge par le ministère de la Culture et de la Communication et le ministère de la Défense, dont 17 millions pour le donjon

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°260 du 25 mai 2007, avec le titre suivant : Le donjon de nouveau d’aplomb

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