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Consuelo Císcar, directrice de l’IVAM : « Le musée doit agir dans l’import-export »

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 30 juillet 2007 - 1236 mots

VALENCE / ESPAGNE

Valence, qui accueille actuellement et jusqu’au 3 juillet les épreuves de la 32e Coupe de l’America, est aussi riche de l’IVAM, l’un des plus importants musées d’art moderne et contemporain en Espagne. Pierre Soulages vient d’ailleurs de s’y voir décerner le 7e prix international Julio-González. Consuelo Císcar, directrice de l’IVAM, commente l’actualité.

Valence accueille actuellement la Coupe de l’America. Cet événement a-il une incidence sur l’IVAM et sur la vie culturelle de la ville ?
L’organisation de cet événement nous a lancé un défi pour entreprendre des projets qui devaient ouvrir la ville sur la mer. Sa répercussion, indiscutablement, est directe sur le tourisme, l’économie et les services ; la Coupe de l’America a dynamisé la ville autour d’un projet culturel qui se projette sur le monde. En ce qui concerne l’IVAM, l’incidence est sans aucun doute directe. Le musée présente en ce moment plusieurs expositions sur le thème de la vitesse (« Speed 1 », « Speed 2 », « Speed 3 ») ; elles ont été conçues en écho à l’événement et, par ailleurs, font connaître Valence dans le monde à travers les œuvres d’artistes majeurs.
Le 18 mai prochain, nous inaugurerons également l’exposition « Les yeux de la mer ». Les sports, avec ses visiteurs d’hier et d’aujourd’hui, ses vicissitudes, poétiques et métaphoriques, naviguent dans cette exposition à travers des médiums comme l’art vidéo, la sculpture, la photographie, les installations. L’eau, pour ces artistes, est traitée comme un symbole, une source d’inspiration, et surtout comme un élément créatif. La mer a fait croître la ville de Valence, maintes et maintes fois au fil des siècles, et l’a transformée en scène de liberté et d’ouverture aux différentes cultures.

Au mois de juin seront inaugurés la Biennale de Venise (Italie), la Documenta à Cassel et Skulptur Projekte Münster (Allemagne). Qu’attendez-vous aujourd’hui de ces expositions ? Que vous inspire la multiplication des biennales ?
L’essentiel est que ces événements parviennent à donner des réponses aux questions qu’ils posent, et que les directeurs et les commissaires donnent leur vision des nouvelles tendances artistiques comme de la relation entre les créateurs et la réalité sociale. Cassel propose une réflexion sur l’art et le public, et ceci est très important pour les musées, qui sont devenus des médiateurs entre la création et le public. Cette 12e édition ne devrait pas décevoir. La 4e édition de Skulptur Projekte Münster présentera des sculptures pensées pour le lieu. Je suis convaincue que ses commissaires, Kasper König et Brigitte Franzen, obtiendront des œuvres remarquables qui explorent les limites de la sculpture. Pour un musée comme l’IVAM, consacré au sculpteur Julio González, cette initiative est particulièrement attrayante. Enfin, de la Biennale de Venise, nous attendons toujours une vue panoramique qui unit le risque avec la tradition d’une manifestation centenaire.

La Foire Art Basel représente un poumon pour le marché de l’art international, comme l’ARCO pour le marché espagnol. La place des foires et du marché en général vous semble-t-elle exagérée aujourd’hui ?
Les foires répondent non seulement à un besoin au niveau de la créativité, mais aussi à une demande du marché. Il y a aujourd’hui de la place pour les foires existantes, mais aussi pour d’autres qui peuvent surgir sous l’impulsion de nouvelles cultures. Évidemment, Art Basel est une manifestation de haut niveau qui fait la tendance. ARCO, non seulement concerne le marché espagnol, mais est aussi ouvert à d’autres pays et stimule le rapprochement d’artistes et de collectionneurs de différentes nationalités. Je ne pense pas que doivent uniquement exister des « macrofoires ». L’objectif est d’arriver à toucher un large public de non-collectionneurs afin qu’ils commencent à le devenir et qu’ils puissent ensuite accéder au niveau de ces grandes foires. Ouverture et rigueur doivent être les principes fondateurs de toute foire.

La France est aujourd’hui à nouveau attentive à sa propre scène artistique (Palais de Tokyo, exposition « Airs de Paris » au Centre Pompidou [lire p. 11]). Cette attitude vous semble-t-elle naturelle ?
L’important est sans aucun doute le caractère international de l’art, l’abolition des frontières dans la programmation des expositions. Cela fonctionne ainsi à l’IVAM, mais cela ne veut pas dire que chaque pays ne doit pas s’efforcer de présenter ses artistes locaux et nationaux. Je crois que nous avons un devoir envers notre histoire culturelle afin que les étrangers puissent en connaître les acteurs. Les musées doivent agir dans une double direction, import-export ; ils accomplissent avec plus de réussite leurs objectifs en portant leurs recherches sur une ligne reliant le national à l’étranger. Je ne pense pas que traiter le thème de Paris à Paris soit un acte de « chauvinisme », vu son caractère de centre artistique international.

Comment analysez-vous la place des artistes espagnols dans les musées et centres d’art espagnols ?
Les artistes espagnols sont représentés fondamentalement au Musée National Reina-Sofía, à Madrid, à l’IVAM à Valence et dans d’autres musées consacrés à des artistes spécifiques comme Picasso, Eugenio Granell, Miró. Mais en Espagne, de nombreuses institutions financières ont aussi constitué des collections d’artistes liés à leur territoire géographique et produisent leurs propres manifestations artistiques.

Quels sont vos projets pour l’IVAM ?
Principalement, je me concentre sur trois objectifs : achever le projet d’extension du musée signé par les architectes japonais SANAA ; amplifier et étendre la présence internationale de l’IVAM à travers la présentation de ses collections dans le cadre d’échanges avec des musées d’Europe, d’Amérique et d’Asie, avec un effort sur l’Est ; et enfin présenter des expositions ambitieuses d’artistes comme Joseph Beuys ou de Giorgio De Chirico, qui n’ont encore jamais été exposés à Valence.

Pour le Louvre-Abou Dhabi, le nom « Louvre » a été cédé pour une durée de trente ans. Le nom d’un musée peut-il être selon vous une marque ?
Il est évident qu’un Musée peut être une marque. Le Guggenheim, le Louvre, la Tate sont devenus des marques commerciales parce que nous évoluons dans un monde où le marketing pilote une grande partie des activités des musées pour conquérir le public. Toutefois, il ne s’agit pas ici de parfums de saison. La marque d’un musée, si elle repose uniquement sur un bâtiment original signé d’une star de l’architecture, peut s’effondrer au premier souffle, comme cela s’est produit à Las Vegas. Le cas du Guggenheim de Bilbao est différent, parce qu’il a su conjuguer New York avec la réalité espagnole et basque en apportant un niveau de « normalité » qui favorise le tourisme et l’ouverture de Bilbao vers l’extérieur.
Évidemment, le Louvre est un musée et une marque, et ceci ne doit pas apparaître négatif si on pose les conditions nécessaires de rigueur. Les marques commerciales doivent exiger de la part de leurs « franchises » qu’elles répondent et même améliorent les propositions du musée qui leur donne son nom. Les quatre Tate ne se nuisent pas l’une l’autre parce qu’elles savent quel est le rôle de chacune. Je suppose que le Louvre-Abou Dhabi connaîtra son niveau d’autonomie et de convergence, ainsi que les conditions économiques. Il me paraît que trente années constitue une période suffisante pour que le Louvre s’affirme au Moyen-Orient, un territoire qui, sans conteste, a enrichi de milliers de pièces les musées du monde entier.

Une exposition vous a-t-elle marquée récemment ?
Sans aucun doute les trois expositions autour de la vitesse (« Speed 1 », « Speed 2 », « Speed 3 »). Selon l’écrivain Milan Kundera, « la vitesse est la forme d’extase que la révolution technologique a donnée à l’homme ». Ce projet, dirigé conjointement avec le cinéaste José Juan Bigas Luna, présente l’esthétique et la créativité de la société contemporaine, érigée comme un laboratoire multidisciplinaire où prennent part tous les langages artistiques autour du thème de la vitesse.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°259 du 11 mai 2007, avec le titre suivant : Consuelo Ciscar, directrice de l’IVAM

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