Hommage

Une musique toute de finesse

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 30 juillet 2007 - 650 mots

La galerie Thessa Herold, à Paris, consacre une importante exposition à Serge Charchoune, adepte du cubisme ornemental.

 PARIS - Pour rallier un maximum de visiteurs, les expositions monographiques débutent souvent sur les foires avant de se poursuivre en galerie. C’est le cas de « Serge Charchoune, soleil russe », initiée par Thessa Herold sur son stand à Art Paris et étoffée depuis le 7 avril dans ses murs. Charchoune n’est plus totalement un inconnu grâce au travail d’exhumation entrepris depuis deux ans par la galerie le Minotaure (Paris). Mais les piqûres de rappel sont toujours appréciables et un tel sujet mérite d’être pris en tenailles par plusieurs marchands. La dernière exposition organisée par Thessa Herold à la Galerie de Seine remonte à 1974, un an avant la mort de Charchoune. Cet hommage rendu vingt-trois ans plus tard retrace tout le cheminement de l’artiste qui, comme l’indique Isabelle Ewig dans le catalogue, « préfère se mouvoir entre les courants et plus encore, en bordure des beaux-arts ».

Du cubisme à Dada
Que cet artiste ait créé en 1922 une revue baptisée Transbordeur Dada n’a rien de surprenant. Lui-même s’était bien transporté d’un pays à un autre, de la Russie où il naît en 1 888 à Berlin, Paris ou Barcelone. Il est tout autant passé d’un mouvement à un autre. Même si son travail portera longuement les traces du cubisme, il cherchera à s’en délester en 1921 par un mémorable « Enterrement du cubisme », messe aussi funèbre que cocasse orchestrée avec le poète Tristan Tzara. Cet acte scelle d’ailleurs son entrée dans l’univers Dada, dont témoignent six petits portraits à la plume réalisés à Berlin au dos d’une lettre envoyée par le peintre Hosiasson (26 000 euros). En fait, son flirt avec Dada remonte aux années 1914-1917, passées à Barcelone. On regrettera d’ailleurs que pour restituer cet esprit subversif, l’exposition ne s’accompagne pas des photos de groupes publiées au catalogue. Charchoune reste toutefois un dadaïste réservé, plus témoin qu’acteur des facéties de ses camarades. Cette veine s’essouffle et l’on voit refleurir dans sa pâte le cubisme qu’il avait prétendu inhumer. Ce cubisme-là, constitué notamment de cernes isolant les objets comme dans cette composition au violon de 1922, il l’appellera ornemental. Mais le peintre se laissera aussi tenter par la veine puriste prônée par Amédée Ozenfant, perceptible dans une nature morte verte de 1926. Ce passage étonne d’autant plus qu’Ozenfant n’avait pas de mots assez durs pour stigmatiser le cubisme ornemental, considéré comme un plaisir rétinien inepte. Chassez le naturel slave, il revient au galop ! L’ornement ressurgit dans les arabesques et une certaine ligne musicale qui infuse aussi ses tableaux blanc grège initiés dans les années 1950, et dont Thessa Herold affiche deux spécimens. « Charchoune appose une couleur de blanc sur la composition par trop colorée, n’en conservant selon l’explication de Jean-Pierre Brisset, que les seules et subtiles transparences, creusant ensuite dans la pâte fraîche, aux accents de Mozart, Beethoven ou Haendel, et selon leur tempo, des sillons plus ou moins profonds, larges, sinueux ou dansants », décrit Isabelle Ewig. L’exposition a le grand mérite de présenter aussi des petits formats, qui révèlent le goût de l’expérimentation qui a traversé toute l’œuvre de Charchoune.
Pourquoi cet artiste, qui avait apposé sa signature au plus près de L’œil Cacodylate de Picabia, a-t-il été oublié après avoir été défendu de son vivant par la galerie Creuze ? Peut-être parce qu’il fut trop discret, voire solitaire. Trop subtil aussi, comme le rappelle le peintre Nicolas de Staël : « la peinture de Charchoune est une musique toute de finesse, elle joue sur les rapports subtils de demi-tons, de quart-de-tons, elle est parfaitement invisible dans les reproductions en noir et blanc. » Sans doute aussi parce que l’histoire comme le marché se focalisent-ils sur les initiateurs des grands mouvements plutôt que sur leurs accompagnateurs.

SERGE CHARCHOUNE, SOLEIL RUSSE

Jusqu’au 19 mai, galerie Thessa Herold, 7, rue de Thorigny, 75003 Paris, tél. 01 42 78 78 68, du mardi au vendredi 14h-18h30, samedi 11h-18h30.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°258 du 27 avril 2007, avec le titre suivant : Une musique toute de finesse

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