Musée - Collectionneurs

Raymond Nasher : « Je ne crois pas à la décoration »

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 27 juillet 2007 - 989 mots

DALLAS / ETATS-UNIS

Aux États-Unis, l’art dans l’espace public est souvent le fait de privés passionnés. Rencontre avec le promoteur immobilier de Dallas Raymond Nasher quelques jours avant sa disparition le 16 mars.

Promoteur immobilier ayant fait fortune au Texas, le collectionneur Raymond Nasher s’est concentré dès les années 1950 sur la sculpture du XXe siècle. En cinquante ans, il a constitué l’une des collections les plus phénoménales en la matière, de Rodin à Mark di Suvero en passant par Giacometti et Henry Moore. Philanthrope, il a ouvert en 2003 à Dallas un Parc de sculptures, dessiné par l’architecte Renzo Piano. Deux ans plus tard, il permettait aussi la construction du Nasher Museum of Art, dans l’Université de Duke, à Durham (Caroline du Nord). Raymond Nasher s’est éteint le 16 mars à l’âge de 85 ans, en rentrant d’un voyage à Paris où il a donné une conférence à l’auditorium du Louvre. Voici l’un des derniers entretiens qu’il ait accordé avant son décès.

Comment avez-vous commencé à collectionner la sculpture et à l’intégrer dans des projets immobiliers ?
Nous avons commencé dans les années 1950. Comme nous avions peu d’argent, nous nous sommes orientés vers l’art précolombien dont on pouvait acheter des choses pour 20 à 30 dollars au Mexique. Avec la ratification de la convention de l’Unesco en 1970, nous avons arrêté de le faire. Je savais toutefois que je voulais mettre de l’art dans mes projets immobiliers. J’ai tout de suite pensé à la sculpture, car on ne peut pas mettre de peintures en plein air. Par ailleurs, à ce moment-là, on pouvait acheter des sculptures de Calder, Miró, Matisse ou Brancusi pour un dixième du prix d’une peinture. La sculpture était considérée comme secondaire, les gens ne savaient pas comment les garder et les regarder. On a rendu visite à Henry Moore dans son atelier à Londres. Il était en train de travailler sur Reclining Figure n°9 et sur Vertebra. J’ai été suffisamment raisonnable pour acheter les deux œuvres. Je gardais toujours chez nous les œuvres dans un premier temps, pour éduquer nos trois filles et ensuite je les prêtais à mes projets immobiliers d’habitations, bureaux ou centres commerciaux. Je les mettais aussi en dépôt dans des musées. Pour notre premier projet, le centre commercial de Northpark à Dallas en 1965, nous avons installé vingt sculptures de Moore, Hepworth, Miró, Gormley… Mes confrères pensaient que j’étais fou et que les gens allaient les détruire. Mais depuis quarante ans que ce centre existe, nous n’avons jamais eu de problèmes ! Je regrette que d’autres promoteurs immobiliers n’aient pas suivi mon exemple. Il s’agit pourtant à la fois d’un formidable outil pédagogique et marketing.

Une sculpture prend-elle un sens différent dans un espace public ou privé ?
Toutes les sculptures que nous avons achetées étaient d’abord destinées à notre maison. Dans notre jardin, nous avons un rapport plus intime. Il y a une dimension apaisante, surtout lorsqu’elles sont en relation avec les arbres, que j’appelle les « sculptures vivantes ». Mais dans un espace public, elles sont vues par des milliers de gens qui peuvent par la suite être tentés d’aller dans les musées. Je suis souvent allé dans le centre commercial et en m’asseyant sur les placettes, j’écoutais les commentaires des gens. J’ai bien senti peu à peu une évolution des mentalités, dans le fait qu’ils venaient et revenaient ne serait-ce que pour montrer les sculptures à leurs enfants ou à leurs amis de passage à Dallas. Tous les quatre à six mois, nous changions les sculptures, excepté les inamovibles comme celles de di Suvero et de Joel Shapiro, pour que les gens puissent avoir régulièrement de nouvelles expériences.

Y a-t-il des sculptures faites pour des espaces publics et d’autres dédiées aux espaces privés ?
Une sculpture dans un espace public doit posséder une taille dépassant la moyenne et être presque cinétique. Elle doit aussi être liée à son environnement, qu’il s’agisse d’un parc ou d’une autoroute. L’échelle et le volume sont dès lors totalement différents. Les pièces trop petites ne peuvent pas être installées dans des espaces publics, car elles risquent plus facilement d’être endommagées. En revanche, Curves are not mad de Richard Serra est destiné à être confronté au monde.

Est-ce à dire qu’un projet pour un espace public doit forcément être monumental ?
L’échelle dépend de la nature du projet. Si vous avez un immeuble de vingt-cinq étages, il faut que la sculpture fasse au moins 25 pieds [7,6 m] de haut pour ne pas être écrasée.

Le choix d’une sculpture intervient-elle en amont de vos projets immobiliers ou est-ce une cerise sur le gâteau ?
En général, nous réalisons le projet, puis achetons des œuvres qui pourraient bien s’y intégrer. Nous avons passé peu de commandes, si ce n’est à Jonathan Borofsky et à James Turrell. Je trouve plus excitant la trouvaille, l’idée de chercher des pièces. À l’inverse, une ville comme Chicago a été très en avance sur nous, en commandant des projets spécifiques aux artistes en relation avec les lieux. C’est l’une des plus belles réussites dans ce domaine.

Quelle est la frontière entre art et décoration dans le cas des sculptures en plein air ?
Je ne crois pas à la décoration et je m’en suis toujours gardé. Je n’ai foi que dans les vertus pédagogiques des sculptures. C’est pour cela que nous avons ouvert en 2003 un centre de sculptures à Dallas, dessiné par Renzo Piano, pour y montrer entre 150 et 200 pièces.

En s’érodant, les sculptures tendent à détériorer l’image d’un espace public, plutôt qu’à l’améliorer. Que faire ?
La sculpture a besoin de conservation. Tous les trois à cinq mois, elle doit être nettoyée, soignée. Les villes et les privés ne mesurent pas toujours l’importance de ce soin. Or, il faut y penser avant toute commande ou achat. Il n’y a rien de pire qu’une sculpture qu’on ne peut pas bouger et qui perd sa patine devant nos yeux.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°256 du 30 mars 2007, avec le titre suivant : Raymond Nasher : « Je ne crois pas à la décoration »

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