Profession

Marqueteur de paille

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 27 juillet 2007 - 879 mots

Apparue au XVIIe siècle et peu à peu tombée dans l’oubli, cette technique phare de l’Art déco connaît depuis quatre ans un nouvel engouement.

D’après la définition donnée par Pierre Ramond, professeur émérite à l’École Boulle à Paris, la marqueterie est « l’art d’ornementer des surfaces avec des placages de différentes substances minérales, animales ou végétales. Ceux-ci après avoir été découpés suivant le tracé d’un motif décoratif sont assemblés puis appliqués par collage sur le support qui doit être décoré. » Or, si cette technique d’ornementation est connue pour sa mise en œuvre avec du bois, de l’ivoire, de la nacre ou du métal, elle l’est moins avec un matériau plus inattendu : la paille de seigle. Depuis le XVIIe siècle, époque à laquelle datent les premiers objets, cette matière première ordinaire et bon marché – la même qu’utilisent les rempailleurs de chaises – a pourtant été à l’origine de la production d’une multitude de pièces d’un grand raffinement : cadres, coffrets, étuis, paravents ou petits éléments de mobilier. « L’utilisation de la paille s’est développée dans le sillage de l’ébénisterie à partir de la fin du XVIe siècle, explique Lison de Caunes, l’une des rares professionnelles exerçant encore cette spécialité. Ce matériau économique était employé pour imiter la marqueterie de bois et, de loin, l’effet peut être parfois trompeur ! ». Au XIXe siècle, la pratique se répand dans les lieux d’enfermement, couvents et surtout prisons ou bagnes, où de nombreux objets, dont l’iconographie s’inspire souvent des peintures de grands maîtres, sont produits grâce à cette technique requérant peu d’outils – scalpel, pinceau et plioir -, comme en témoignent encore quelques pièces conservées au Victoria and Albert Museum de Londres, au Musée des Arts décoratifs ou encore au Musée de la Marine, à Paris. Tombée un temps dans l’oubli, la technique connaît ses heures de gloire durant l’entre-deux-guerres avec l’Art déco.

Un matériau original
Amateurs de matières originales telles que le galuchat – une peau de poisson –, la coquille d’œuf ou le parchemin, plusieurs créateurs de mobilier comme André Groult, Jean-Michel Frank ou, plus tard, Jean Royère, réhabilitent la marqueterie de paille pour la création de meubles luxueux, de paravents mais aussi pour la réalisation de placages muraux. « Mon grand-père a probablement découvert cette technique chez son beau-frère, Paul Poiret, qui l’avait utilisé pour le décor de l’une de ses péniches », précise Lison de Caunes, la petite-fille d’André Groult. C’est cette filiation qui a poussé l’ancienne étudiante des Arts décoratifs, formée à la reliure et à l’ébénisterie, à réhabiliter cet art suranné, appris en autodidacte. Passée de mode après la Seconde Guerre mondiale au profit des matières plastiques, la marqueterie de paille aurait alors pu disparaître. Dans les années 1970, alors que l’Art déco revient à la mode, personne n’est plus capable de restaurer les productions en paille. « J’étais née dans ce matériau, souligne Lison de Caunes, alors je me suis lancée ». D’abord, dans la restauration afin de répondre à la demande, puis dans la création. Techniquement, le procédé est simple et n’implique pas l’acquisition de machines coûteuses. Un peu d’eau ammoniaquée et un scalpel suffisent ainsi pour supprimer les pailles abîmées qui sont ensuite remplacées, le nettoyage s’effectuant avec un papier abrasif. La paille, écrasée au marteau à plaquer et collée bord à bord sur bois ou carton, est, en effet, beaucoup moins fragile qu’il n’y paraît. Elle est, par ailleurs, protégée par son vernis naturel qui la rend imperméable, son entretien s’effectuant à la cire. Pour Lison de Caunes, la reconnaissance est arrivée en 1998, avec l’obtention du titre de Maître d’art : « C’était enfin la satisfaction de voir ce métier reconnu comme un véritable artisanat d’art ». Depuis, d’autres professionnels, comme Hervé Morin, ancien de l’École Boulle, et Stéphane Diss – qui a entièrement décoré un appartement parisien en marqueterie de paille – se sont tournés vers cette technique, qu’ils combinent souvent avec d’autres matériaux. Le succès est effectivement au rendez-vous. Sollicitée aux États-Unis ou en Espagne, Lison de Caunes, qui emploie désormais trois personnes dans son atelier du 6e arrondissement de Paris, avoue que « la marqueterie de paille n’a jamais aussi bien marché que depuis quatre ou cinq ans. » Autre signe tangible : depuis peu, les écoles d’ébénisterie enseignent à nouveau quelques rudiments de cet art sauvé de l’oubli. Preuve que, lorsqu’il allie excellence et créativité, l’artisanat d’art peut encore avoir de beaux jours devant lui. À condition toutefois, pour les candidats au métier, d’être dotés d’une indéfectible patience, quand il faut près de quatre jours pour réaliser un mètre carré de marqueterie de paille, assemblée brin par brin.

Formation

- Il faut s’orienter vers les écoles formant à la marqueterie de bois traditionnelle.

- CFA de l’ameublement, La Bonne Graine, 200 bis, boulevard Voltaire, 75011 Paris, www.cfa-ameublement.org ; formation : CAP en trois ans.

- École Boulle, 9 rue Pierre Bourdan, 75012 Paris, www.ecole-boulle.org

- Institut Saint-Luc, Chaussée de Tournai 50, 7520 Ramegnies-Chin, Belgique ; formation : ébénisterie 2e et 3e degrés ; spécialisation : 3e degré Marqueterie – Création – Restauration.

- L’association « La marqueterie de paille » réunit les professionnels et les amateurs de cette technique afin d’en assurer la promotion. 12 rue des Gouttes, 69290 Saint-Genis-les-Ollières, tél. 04 78 44 63 74.

À lire

- Lison de Caunes, Catherine Baumgartner, La marqueterie de paille, éd. Vial, 2004, 240 p., 55 euros, ISBN 2-85101-087-5.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°252 du 2 février 2007, avec le titre suivant : Marqueteur de paille

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