Droit

Qui a peur des douaniers ?

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 27 juillet 2007 - 628 mots

Pour les douanes, les biens culturels sont des biens soumis à restriction de circulation au même titre que les métaux précieux, les armes et les stupéfiants.

Les péripéties des plâtres de Jean Arp, relatées ci-dessus, manifestent les pouvoirs spécifiques qui assurent aux douanes un rôle déterminant, parfois de dernier recours, dans la lutte contre les trafics illicites de biens culturels.
Schématiquement, le droit douanier, qui porte d’abord sur des marchandises, n’a pas à s’embarrasser des intentions bonnes ou mauvaises : un bien culturel, quelle que soit son importance, reste une marchandise dénuée d’intention. Ce qui fait que nombre d’incriminations douanières résultent de constations objectives et peuvent conduire à des décisions de justice sans avoir à démontrer la bonne ou mauvaise foi des personnes impliquées. Cela dit, il est sans doute plus fréquent que les condamnations prononcées pour contrebande concerne des « passeurs » de mauvaise foi, ou d’une imprudence à la limite de la mauvaise foi, que d’honnêtes quidams ignorant les règles douanières. En matière de biens culturels, un exemple peut illustrer cette situation. Il y a fort longtemps, des policiers spécialisés avaient intercepté un camion dont ils avaient toute raison de penser qu’il était chargé de biens culturels volés. Dans le court délai pendant lequel ils pouvaient immobiliser le véhicule et en contrôler le contenu, il leur fut impossible de trouver un seul justificatif de plainte pour vol à mettre en relation avec un objet du chargement. Ils durent donc laisser repartir le camion.
Ceci pouvait s’expliquer à l’époque par la quasi-inexistence de base de données, mais pourrait encore se produire aujourd’hui, puisque les voleurs de biens culturels importants ont souvent mis des kilomètres et des frontières entre eux et les policiers avant même que les propriétaires n’aient constaté et déclaré le pillage.

Certificat de libre circulation
Pour des douaniers, une telle hypothèse est improbable. Juridiquement, les biens culturels sont en effet des biens soumis à restriction de circulation au même titre que les métaux précieux, les armes ou les stupéfiants. Cette situation donne aux douaniers une compétence de contrôle sur l’ensemble du territoire. Elle les autorise à requérir d’une personne transportant des biens culturels de présenter sans délai les justificatifs de provenance régulière des biens (art. 215 ter du code des douanes), et en cas de contrôle dans le « rayon » des douanes, c’est-à-dire à proximité des limites du territoire douanier, des documents d’importation ou d’exportation (tel que le certificat de libre circulation) réguliers. Faute de quoi, le délit de contrebande se trouve constitué sans avoir à prouver l’intention délictueuse (art. 417 du code des douanes). Ceci permet de déclencher les sanctions multiples prévues par l’article 414 du code des douanes : emprisonnement jusqu’à trois ans, confiscations des biens, du véhicule les transportant, amende de un à trois fois la valeur des biens…
Heureusement, une autre dérogation au droit commun permet aux douanes de transiger.
Ce qui est vrai du droit douanier français l’est aussi de la plupart des autres droits nationaux, qui n’ont pas davantage à s’embarrasser des intentions. C’est sans doute pourquoi nombre d’États placent les douanes en gardien de la circulation des biens culturels. Les plus récents convertis à la Convention Unesco de 1970 sur la lutte contre les trafics de biens culturels, le Royaume-Uni et la Suisse – emboîtant le pas aux États-Unis qui le font depuis longtemps dans le cadre de conventions bilatérales – ont ainsi inscrit dans leur réglementation douanière des dispositions permettant la lutte contre les circulations illicites de biens culturels, en particulier issus de fouilles clandestines. En Suisse, cela ira même jusqu’à contrôler les biens culturels entreposés dans les ports francs à partir du 1er mai prochain. En conclusion, tout le monde a peur des douaniers, mais les trafiquants de biens culturels sans doute de plus en plus.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°252 du 2 février 2007, avec le titre suivant : Qui a peur des douaniers ?

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