Entretien

Laurent Godin, galeriste

« Construire des relations »

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 27 juillet 2007 - 735 mots

Vous avez dirigé pendant quatre ans le centre d’art Le Rectangle à Lyon avant d’ouvrir voilà un an et demi une galerie à Paris. En quoi le travail d’exposition est-il différent dans un centre d’art ou une galerie ?
J’ai ouvert une galerie pour faire exister les choses, être dans la « production » de projets et non la « distribution » d’œuvres. J’aspirais aussi à plus de liberté et d’autonomie. La différence avec l’activité d’un centre d’art, c’est qu’il y a un avant et un après beaucoup plus fort. À Lyon, j’ai fait deux expositions de Wang Du en quatre ans, ce qui m’a posé quelques problèmes. Normalement, il faut attendre au moins cinq ans pour retravailler avec un artiste. Pourtant, son travail l’imposait. Dans l’institution, les rapports avec les créateurs sont denses, mais ponctuels. Une fois l’exposition terminée et l’œuvre rendue à l’artiste, c’est : « Bonne route ! ». À la différence du centre d’art, les artistes trouvent dans la galerie une implication sur une longue période. Le centre d’art se concentre sur le propos artistique et la présentation au public. La galerie couvre des champs économiques et des problèmes concrets. Ce qui relève de l’économie a une incidence directe sur les rapports. Si on se comporte mal sur ce plan-là, on peut faire le deuil d’une relation artistique.

Le milieu de l’art français se méfie habituellement des allers-retours entre les sphères publique et privée. Comment votre passage du centre d’art à la galerie a-t-il été perçu ?
Quand j’ai ouvert la galerie, certains, dans le milieu institutionnel, s’en sont étonnés. Il y a en France une part de fantasme et parfois peut-être un peu de frustration liée aux conditions de travail des conservateurs. Ces derniers travaillent avec des artistes dont la cote explose, ont pour interlocuteurs des collectionneurs ou des marchands richissimes, et ils se retrouvent à la fin du mois avec un salaire de conservateur, qui n’est pas mirobolant.

Depuis l’an dernier, vous multipliez les participations aux foires. À quoi correspond cette stratégie?
Un goût prononcé pour les voyages ! J’ai créé une galerie pour me concentrer et construire des relations durables avec certains artistes. Mais, en même temps, beaucoup de créateurs m’intéressent et j’hésite à les intégrer au programme. Bien sûr, on ne peut pas nourrir un dialogue avec trente artistes. Cela invite d’ailleurs à s’interroger quant à la nature du travail d’une galerie. Faut-il se baser sur une liste de dix noms, ou fonctionner dans une logique de flux ? Les foires aussi ont évolué, elles ne sont plus simplement des lieux d’achat et de vente réservés à un cercle d’initiés. Elles deviennent des enjeux de visibilité. Dans le même temps, la profusion et le zapping qu’elles imposent rend difficile la lisibilité d’un travail… À la galerie, nous n’avons pas de « project room », ni ne disposons de suffisamment d’espace pour bâtir une programmation multiple, ou être très réactif… Du coup, à partir de ces constats, progressivement, on va aborder les salons comme de véritables espaces d’exposition et proposer systématiquement des one-man shows ou des projets spécifiques. Nous allons faire de nos stands un véritable « project room » mobile.

Les trois quarts de vos artistes vivent en France. S’agit-il d’un choix volontaire ?
Ce n’est pas un critère. Cependant, je pense participer d’une communauté et pour un travail en profondeur, la proximité est nécessaire. En même temps, le monde s’est ouvert, le spectre est plus large, il faut en tenir compte. D’ailleurs, ceux que nous allons programmer en 2007-2008, comme Haim Steinbach au moment de la FIAC, Sven’t Jolle ou Mika Rottenberg vivent tous hors de France.

Vous êtes l’une des rares galeries françaises à produire des catalogues pour vos artistes. Vous avez aussi quatre employés à plein-temps, ce qui dépasse la moyenne générale. Pourquoi cette dimension « professionnelle » fait-elle défaut chez beaucoup de vos confrères ?
Je ne sais pas, nous avons encore beaucoup de progrès à faire. Gagner de l’argent ne m’intéresse pas, mais je veux pouvoir travailler efficacement. Il y a une part d’utopie dans notre métier, il faut la préserver absolument. Mais, j’entends assumer aussi notre réalité d’acteur économique et il me semble qu’une nouvelle génération de galeries se situe dans un rapport plus frontal, sain, honnête avec ces questions. Les artistes attendent d’une galerie qu’elle réponde à une foultitude de besoins, de stockage, d’archivage, de revenus. Apporter une plus-value intellectuelle ne suffit plus.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°252 du 2 février 2007, avec le titre suivant : Laurent Godin, galeriste

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