De long en large

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 25 juillet 2007 - 959 mots

Entre Nantes et Saint-Nazaire, le projet artistique «”¯Estuaire”¯» s’inscrit dans une véritable logique politique de développement du territoire. Une nouvelle biennale à l’échelle d’une région.

L’art contemporain a sa place au cœur de la cité, même quand il dérange ! » Il faudra sans doute à Jean-Marc Ayrault, maire (PS) de Nantes, de grandes qualités de persuasion pour faire admettre sa profession de foi aux incrédules découvrant cet amas de tôles ondulées, plus décrépit qu’une baraque de chantier, qui enferme la grande statue de la place Royale nantaise. D’autant que l’intérieur s’en révèle encore plus déroutant, le monument se trouvant intégré à une véritable chambre d’hôtel, à visiter le jour, à utiliser la nuit (au tarif de 60 euros !).
Cette œuvre du Japonais Tatzu Nishi, Hôtel Nantes, n’est pas la dernière des surprises que révèle la manifestation « Estuaire Nantes < > Saint-Nazaire 2007 », qui, pendant trois mois, déploie plus d’une trentaine d’installations d’artistes dans les villes de Nantes et Saint-Nazaire, mais aussi sur les rives de la Loire, le long des quelque soixante kilomètres qui les relie.
Ce projet est remarquable à plus d’un titre, et en premier lieu parce qu’il s’inscrit délibérément et fermement dans une politique d’aménagement d’un territoire en pleine mutation, en raison du recul de l’emprise industrielle. Mais si, ici comme ailleurs, les édiles ont bien compris l’intérêt de jouer collectif plutôt que d’adopter chacun des postures singulières, le ferment de ce développement territorial et de la constitution progressive d’une nouvelle identité métropolitaine passe aussi par l’action culturelle. Ce credo est manifeste sur les deux sites emblématiques que sont l’Île de Nantes et le port de Saint-Nazaire.
Vaste chantier à ciel ouvert, la première, qui a déjà vu s’implanter un palais de justice imaginé par Jean Nouvel, poursuit sa mue sous la houlette de l’urbaniste Alexandre Chemetoff. Les transformations apparaissent plus patentes sur le quai des Antilles. Alors que Daniel Buren, avec la complicité de Patrick Bouchain, y a installé 18 cercles de 4 mètres de diamètre qui, à la nuit tombée, s’illuminent de couleurs et redessinent la voie (Les Anneaux, 2007), le vaste hangar à bananes, ancienne mûrisserie de 8 000 m2, a été complètement reconverti. Divisé en « cellules » ouvertes sur la Loire, il a permis l’installation de cafés et de restaurants branchés qui redonnent vie au site. Un espace d’exposition y a été également aménagé, pour lequel Laurence Gateau, directrice du FRAC [Fonds régional d’art contemporain] des Pays de la Loire, a conçu « Rouge baiser », un accrochage sensible et remarquablement agencé à partir de près de quatre-vingts œuvres de la collection.
À Saint-Nazaire, la disparition des chantiers navals a laissé vacants de nombreux espaces. Mais c’est sur le site du port lui-même que Felice Varini, avec Suites de triangles, réussit à imposer une nouvelle conscience du territoire. Reconstituée depuis une terrasse, une ligne relie des figures géométriques éclatées dans l’environnement, sur des hangars, des toits ou des silos. Réunis ou pas, ces motifs réalisent le prodige de faire se détourner le regard du large vers un port délaissé.

Wagon lyrique
Dotée d’un budget global de 7,5 millions d’euros, l’opération se caractérise par un fort investissement issu de partenaires privés, à hauteur environ de 30 % du montant total. Les collectivités territoriales ont financé le reste, la contribution de l’État se réduisant au strict minimum. Sa participation de 300 000 euros apparaît en effet bien mince et anecdotique, ne serait-ce qu’en comparaison des 400 000 euros apportés par la seule commune de Saint-Nazaire. Le fait que la région soit globalement ancrée à gauche constitue-t-il une explication ?
Si la direction de l’ensemble de la manifestation a été confiée aux bons soins de Jean Blaise, directeur du Lieu unique, à Nantes, le programme artistique a été mené par David Moinard et Virginie Pringuet, en charge des expositions d’art contemporain de cette même institution, rejoints pour l’occasion par Jean de Loisy. Ce dernier a permis l’insertion au programme de quelques œuvres fortes, à commencer par la création d’une installation in situ d’Anish Kapoor au Musée des beaux-arts de Nantes. Svayambh (2007) transfigure littéralement l’édifice, avec un wagon de trente tonnes de cire rouge qui se déplace lentement, d’avant en arrière, sur un podium situé à 1,5 mètre de hauteur et qui parcourt tout le patio pour déboucher dans l’entrée. Traversant les arcades, il y laisse des traces de son passage, entre violence contenue et lyrisme tragique.
Sur les rives de l’Estuaire, les sites livrés aux artistes jalonnent le territoire. On peut y accéder par la terre ou les découvrir par voie d’eau, grâce à une croisière fluviale quotidienne spécifiquement organisée. Si les interventions présentent un intérêt inégal, certaines se révèlent particulièrement pertinentes ou drôles dans ce contexte. Avec Did I Miss Something ?, Jeppe Hein a installé un jet d’eau de 20 mètres de hauteur, qui se déclenche dès que quelqu’un s’assoit sur le banc situé sur la rive. Près d’une écluse, Erwin Wurm a accroché un bateau déformé qui semble vouloir rejoindre ses congénères (Misconceivable, 2007). Un curieux campement d’architectures mobiles et d’habitats légers – avec des projets de Dré Wapenaar, de l’Atelier Van Lieshout ou de Denis Oudendijk – fait surface à Frossay (Loire-Atlantique). Et une réplique de l’ancienne auberge de Lavau-sur-Loire est même immergée dans le fleuve (Jean-Luc Courcoult, La Maison dans la Loire).
Certaines installations, telles celles de Buren, Wurm ou Tadashi Kawamata, lequel, toujours à Lavau, a pensé un chemin s’enfonçant dans les marais et aboutissant à un observatoire (L’Observatoire), sont pérennes. Elles viendront enrichir les prochaines éditions, prévues en 2009 et 2011. Occasion sera alors donnée de mesurer le chemin parcouru par cette identité territoriale en cours de constitution.

ESTUAIRE NANTES SAINT-NAZAIRE 2007

- Directeur artistique : Jean Blaise, directeur du Lieu unique - Programmation artistique : David Moinard et Virginie Pringuet, chargés de l’art contemporain au Lieu unique - Conseiller artistique : Jean de Loisy - Nombre d’artistes : une quarantaine

ESTUAIRE NANTES SAINT-NAZAIRE 2007, le paysage, l’art et le fleuve. un parcours, 40 artistes, une croisière Étonnante, jusqu’au 1er septembre, informations et réservations pour la croisière (départ de Nantes ou de Saint-Nazaire), Hangar 32, 32, quai des Antilles, 44000 Nantes, tél. 02 40 75 75 07, www.estuaire.info ; ROUGE BAISER, hangar à bananes, Île de Nantes, quai des Antilles, tlj 14h-20h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°263 du 6 juillet 2007, avec le titre suivant : De long en large

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