Belgique - Palais

Et Bruxelles fut frappée par la Sécession

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 25 juillet 2007 - 741 mots

BRUXELLES / BELGIQUE

Culturellement proche de l’Autriche, la Belgique fut une terre de prédilection du mouvement Sécession né à Vienne, ultime avatar européen de l’Art nouveau.

 C'est par une icône de l’architecture belge que s’ouvre l’exposition « Vienne-Bruxelles, les années d’architecture » au Musée d’architecture à Bruxelles, avec une évocation sous forme de plans et de photographies du palais Stoclet. Les lignes épurées et la bichromie de ce grand hôtel particulier bruxellois semblent avoir inspiré l’élégante scénographie qui se fond parfaitement dans l’ancienne loge maçonnique, sur trois niveaux. Construit de 1905 à 1911 par l’Autrichien Josef Hoffmann (1870-1956), le palais Stoclet est sûrement le meilleur témoin des relations entre l’Autriche et la Belgique, terre de prédilection de la culture « Sécession ». Si ce courant d’avant-garde, créé le 3 avril 1897 à Vienne, a déjà été le sujet de maintes expositions, aucune d’entre elles n’avait jusque-là abordé la question des liens entre le mouvement viennois et l’Art nouveau belge. Pourtant, en 1897, c’est à l’occasion de l’Exposition universelle de Bruxelles qu’Otto Wagner (1841-1918), chef de file autrichien, découvre le travail de Paul Hankar (1859-1901), maître de l’Art nouveau belge. « Cette étincelle bruxelloise a peut-être joué un rôle dans la naissance de la Sécession », avance Maurice Culot, directeur des Archives d’architecture moderne (AAM) et commissaire de l’exposition. En dépit de ce qui les oppose, les deux mouvements partagent en effet un même refus de l’académisme et un goût pour l’« art total ». Pourtant, quand une délégation d’architectes belges visite au début des années 1910 le palais Stoclet, c’est la stupéfaction. Construit pour cette famille de grands financiers et de collectionneurs avertis, le bâtiment étonne par ses façades plaquées de marbre blanc, ses cornières métalliques et ses volumes cubiques étirés, d’une esthétique très éloignée du monde végétal de Hankar et Horta. « Ce qui a choqué, c’était la remise en cause de l’idée de Viollet-le-Duc de laisser apparents les éléments de construction, poursuit Maurice Culot. L’Art nouveau était un art du nœud liant le fer, le verre, le bois et la brique ; or ici, les façades deviennent lisses et dissimulent les éléments de construction. » Malgré cette réception en demi-teinte, le palais est un sujet de curiosité y compris pour son décor intérieur, où sont intervenus notamment Gustave Klimt (1862-1918) et Fernand Khnopff (1858-1921). Quelques pièces d’orfèvrerie, prêtées exceptionnellement par la famille Stoclet, illustrent l’art des Wiener Werkstätte. Le couturier Paul Poiret, l’architecte Louis Süe, font partie des quelques Français invités des lieux. Mais la réception dans l’Hexagone est mitigée, et l’édifice ne sera reproduit qu’en mars 1924 dans la revue parisienne L’Architecte. Si le texte apparaît dubitatif, son très beau reportage photographique reste une référence pour la connaissance de ce lieu dont les portes sont aujourd’hui désespérément closes, malgré son classement au titre de monument historique.

La Sécession en magasin
L’œuvre d’Hoffmann n’exercera d’influence durable, parmi les architectes français, que sur Robert Mallet-Stevens. Chose logique, le Français n’est autre que le neveu d’Adolphe Stoclet et les belles planches de son projet de « Cité moderne » (1922) en témoignent. En Belgique, en revanche, la Sécession renouvelle profondément le paysage architectural bruxellois, où se diffusent les verticales et l’ornement au carré. L’Exposition internationale d’art décoratif moderne de Turin (1902) en a donné le coup d’envoi. S’y révèle en effet la personnalité de Léon Sneyers, lequel en deviendra le meilleur zélateur en Belgique. En 1906, l’architecte ouvre une boutique, « L’Intérieur », sise au 9, rue de Namur, qui sera un des pôles de diffusion de cette esthétique. Il sera imité en cela par Gustave Serrurier-Bovy (1858-1910), essaimant des magasins vendant du mobilier aux lignes géométriques et graphiques en Belgique, à Paris et à La Haye. Auteur de nombreux dessins d’édifices belges, seuls quelques fragments des archives de Sneyers, présentés ici, ont pu être sauvés de la disparition. D’autres bâtisseurs belges s’engagent dans cette voie, comme Antoine Pompe, Fernand Bodson (architecte de la loge maçonnique), Jean-Baptiste Dewin, Louis Herman De Koninck ou Renaat Braem. Autant de personnalités talentueuses souvent méconnues, y compris en Belgique, et dont les très riches fonds des AAM permettent de découvrir le travail au travers de multiples planches et dessins intelligemment exposés.

sVIENNE-BRUXELLES, LES ANNÉES SECESSION

Musée d’architecture/La Loge, 86, rue de l’Ermitage, Bruxelles, Belgique, jusqu’au 23 décembre, tlj sauf lundi, 12h-18h, 21h le mercredi, www.aam.be Catalogue, Vienne-Bruxelles. Architectures et décorations, coll. « Les Carrés AAM », Maurice Culot et Anne-Marie Pirlot, 64 p., 12 euros, ISBN 978-2-87143-181-7 - Commissaires : Maurice Culot, directeur des AAM ; Anne-Marie Pirlot, AAM - Scénographie : Patrick Demuylder

Sauver la mémoire de l'architecture en Belgique

C’est en 1968, alors que Bruxelles est aux mains des démolisseurs, que quelques jeunes architectes, Maurice Culot en tête, décident de s’atteler à la sauvegarde des archives d’architectes belges, alors promises à la destruction. Depuis 1969, cette association sans but lucratif s’attache à classer, inventorier et restaurer des centaines de milliers de documents d’archives émanant d’architectes, de décorateurs, ensembliers, paysagistes et artistes actifs en Belgique. Installés depuis 2002 dans de nouveaux espaces, dont une ancienne loge maçonnique devenue lieu d’exposition, les Archives d’architecture moderne (AAM) regroupent un centre de recherche, une bibliothèque, une photothèque, un musée et une maison d’édition. Elles jouent également un rôle important dans le cadre de la protection du patrimoine : sensibilisation aux menaces de destruction, mission de conseil pour les restaurations, réalisation de dossiers de classement… Les AAM sont financées à hauteur d’un tiers respectivement par des subventions publiques, le mécénat et leurs ressources propres.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°263 du 6 juillet 2007, avec le titre suivant : Et Bruxelles fut frappée par la Sécession

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