Frédéric borel

Vive la récré !

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 25 juillet 2007 - 532 mots

Autrefois, de la rue de Tolbiac jusqu’au boulevard Masséna, le quai de la Gare, à Paris, s’étirait au long d’un étrange et brumeux paysage. Les entrepôts de marchandises de la gare d’Orléans-Austerlitz y voisinaient avec les « frigos » (entrepôts frigorifiques), les grands moulins de Paris, la halle aux farines, la compagnie parisienne de l’air comprimé… Léo Mallet y envoyait Nestor Burma en mission, et André Héléna y cachait ses anarcho-syndicalistes.
La rue Watt, blafarde et semi-enterrée, n’avait de secret ni pour l’un, ni pour les autres.

Un projet très écrit
Vint un temps intermédiaire durant lequel ces lieux désaffectés basculèrent dans une dimension inattendue : s’y multiplièrent ateliers d’artistes concédés ou squattés, expositions programmées ou spontanées, fêtes nocturnes légales ou illégales. Puis, le « secteur Masséna » devint un secteur prioritaire du réaménagement et de la restructuration de Paris.
Dans la suite logique de la Bibliothèque nationale de France (dont la partie du quai de la Gare qui la bordait se rebaptisait « quai François-Mauriac »), de la rue de Tolbiac au boulevard Masséna, le quai devenait « Panhard-et-Levassor ». Quant aux lieux de travail puis de fête qui le bordaient, ils tombèrent dans l’escarcelle de l’université de Paris qui vient tout juste d’y installer son université Denis-Diderot. Bâtiments réhabilités et reconvertis et constructions neuves y cohabitent désormais, les uns et les autres signés Michelin et Ricciotti, Chaix & Morel et Chochon, Beckmann et N’Thépé…
À l’extrémité du quai, demeurait l’usine de la compagnie parisienne de l’air comprimé, la SUDAC, un bâtiment industriel de grande beauté à ossature métallique et remplissage de briques, édifié en 1890 par l’architecte Le Bus et l’ingénieur Leclaire. La flanquant et la dominant de toute sa hauteur, une majestueuse cheminée évoque irrésistiblement un campanile.
En avril 2002, décision est prise d’affecter la SUDAC à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris-Val-de-Seine, qui se sent à l’étroit quai Malaquais. Il s’agit de reconvertir l’usine et d’en démultiplier les surfaces et les espaces. C’est Frédéric Borel qui remporte le concours avec un projet tout à la fois respectueux de l’existant et très « écrit » pour ce qui concerne le nouveau bâtiment. Dans l’ancienne usine revisitée, Borel a installé les lieux d’exposition, les salles informatiques, la bibliothèque et la matériauthèque, rendant à l’espace d’origine son authenticité et à la voûte sa fulgurante beauté. Il conserve, naturellement, la cheminée et, sur ses arrières, tend une passerelle qui unit l’ancien et le nouveau.

« Termitière »
Dans le bâtiment neuf dont l’espace d’accueil fonctionne comme une plateforme offshore, Borel a créé une succession de failles et d’entailles de telle sorte que la lumière y pénètre abondamment et que le regard embrasse la Seine, la ville, la vie. Et puis, par une sorte d’inversion géniale, ce sont moins les espaces de travail qu’il privilégie que les lieux de transit, de circulation, de rencontre et d’échange. « Cet ensemble fonctionne comme une termitière, une médina flexible, un espace infini rappelant les univers de Piranèse ou d’Escher », confie l’architecte. Et de fait, ce double espace d’une surface de 150 000 m2 réalisé en à peine trente mois pour la somme de 24 millions d’euros HT, et destiné à accueillir 1 500 étudiants, compose un entrelacs de rues et de carrefours, de placettes et de terrasses, d’une fluidité extrême et d’un confort de vie exceptionnel.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°263 du 6 juillet 2007, avec le titre suivant : Vive la récré !

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