Art Basel

En revenant de Venise

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 25 juillet 2007 - 768 mots

La fièvre acheteuse s’est confirmée sur la foire de Bâle du 13 au 17”¯juin. Les listes d’attente s’allongent.

 BÂLE - Les cuvées bâloises se suivent et ne se ressemblent pas. Comme si, à chaque saison, les cartes étaient rebattues suivant un déplacement des forces. Si la section Art Unlimited, consacrée aux grandes installations et à la vidéo, avait redressé la barre en 2006, elle a souffert cette année d’un sérieux coup de mou, à quelques exceptions près comme l’œuvre de Tatiana Trouvé. Certains bons artistes n’y étaient d’ailleurs pas au meilleur de leur forme. On a ainsi connu un Jim Shaw plus inspiré que dans la performance ridicule à laquelle il s’est adonné le soir du vernissage. En revanche, le niveau contemporain de la section générale, palot l’an passé, a brillé de tous ses feux avec notamment le beau stand d’Eva Presenhuber (Zurich) remanié par les bons soins d’Urs Fischer. Chaque édition de Art Basel possède donc sa propre coloration, mieux son timbre. Une métaphore musicale circonstanciée au vu des mille et une facettes du disque déclinées sur la foire, entre le papier peint de John Armleder chez Massimo de Carlo (Milan) ou les vinyles déconstruits de Carlos Amorales chez Kurimanzutto (Mexico), clins d’œil involontaires à la nouvelle section « Artist records ». Face à l’artillerie contemporaine, le rez-de-chaussée moderne n’a rien montré de transcendant, raréfaction oblige. Certes, Helly Nahmad (New York) a fait un coup médiatique en présentant une vingtaine de versions du Peintre et son modèle de Picasso. Mais les tableaux pris individuellement ne faisaient pas chavirer.

Razzia sur l’art actuel
Les collectionneurs se lâchent d’ailleurs plus sur l’art actuel. Les Américains Don et Mera Rubell ont foncé tout droit sur les Statements pour emporter un set complet des photos d’Aneta Grzeszykowska, pastiches des clichés de Cindy Sherman, chez Raster (Varsovie). « À 14h le jour du vernissage, nous n’avions plus rien à vendre sur le stand », s’est étonnée Almine Rech (Paris). Même razzia chez Emmanuel Perrotin (Paris), lequel négociait le labrador (1997) de Cattelan pour 400 000 dollars. Dans un climat où la qualité semble un critère accessoire, certains marchands prenaient des vessies pour des lanternes. La galerie 303 (New York) proposait ainsi pour 12 000 dollars une simple vis enfoncée dans un mur par Jeppe Hein ! D’autres jouaient la carte du produit dérivé en écho aux grosses machines d’Art Unlimited. La galerie Strina (São Paulo) offrait la maquette éditée à cinq exemplaires d’une grande pièce de Marepe, Perroquets, présentée sur Art Unlimited. Faute de grives, faut-il vraiment manger des merles ?
Face aux records enregistrés dans les ventes aux enchères de mai à New York, les galeries de second marché ont affûté leurs prix selon la latitude que leur autorisaient leurs vendeurs. Lucy Mitchell-Innes (New York) n’a pas tenu compte du record de 72,8 millions de dollars pour estimer ses deux tableaux, certes moins beaux, de Rothko. « Un résultat peut être accidentel. Si cela se reproduit une seconde fois, on pourra parler de tendance. Ce n’est qu’à la troisième fois qu’on peut parler de marché », nous a-t-elle précisé. En revanche, son confrère new-yorkais Christoph Van de Weghe a réajusté le prix de son Basquiat, cédé rapidement pour 5 millions de dollars. « Dans les dernières ventes, tous les Basquiat ont fait 30 % de plus et un tableau a même grimpé de 100 % », nous a indiqué le marchand. De même, le Bacon de 1961 qu’il présentait pour 12 millions de dollars a vu son tarif progresser de 30 % en une semaine après le record de 52,6 millions de dollars chez Sotheby’s.
Dans ce contexte, les musées peinent à rester dans la course faute de budgets (lire p. 15 à 22). Ils n’en ont pas moins été actifs en misant sur des artistes non spéculatifs. La Shuman Foundation d’Amman (Jordanie) a ainsi acquis le beau projet d’Akram Zaatari sur les premiers jours de l’invasion israélienne au Liban chez Sfeir-Semler (Hambourg, Beyrouth). De son côté, le Museum of Modern Art (MoMA) de New York a mis une option sur Limit of a projection (1967) de David Lamelas au grand dam d’un collectionneur français aussi sur les rangs ! Ce dernier n’a pas été le seul amateur frustré.
No erection without castration. Cette phrase de Monica Bonvicini sur le stand d’Emi Fontana (Milan) résume la donne du marché actuel. Après avoir fait mousser le désir des collectionneurs, les galeries leur coupent la chique en privilégiant les acheteurs les plus connus. Les amateurs moins célèbres doivent dès lors montrer patte blanche. « On nous demande notre pedigree, ce qu’on a dans notre collection, si on compte ouvrir un musée, ironisait un couple de collectionneurs français. Et après avoir répondu aux questions, on finit en cinquantième position ! »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°262 du 22 juin 2007, avec le titre suivant : En revenant de Venise

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