De bien pauvres FRAC

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 25 juillet 2007 - 1370 mots

Créés pour diffuser l’art contemporain en régions, les Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC) peinent aujourd’hui à poursuivre l’enrichissement de leurs collections.

Si certains directeurs de FRAC arpentent les allées de la foire de Bâle (lire p. 26), ce n’est certainement pas en acheteurs. « On nous a souvent reproché d’influencer le marché, témoigne l’un d’entre eux, mais nous sommes plutôt un contrepoids car nous n’avons pas les moyens d’acheter dans ce type de manifestation ! ». Une opinion que confirme Béatrice Josse, présidente de l’association des directeurs de FRAC et directrice du FRAC Lorraine : « Nous refusons d’acheter des œuvres au prix fort. Pour nous, il s’agit d’une forme de résistance, mais aussi de respecter notre mission de service public car nous ne sommes pas là pour faire gonfler les prix ». Avec des budgets d’acquisitions qui oscillent entre 67 700 euros pour la fourchette basse (FRAC Champagne-Ardenne) et moins de 300 000 euros pour les plus riches (Nord-Pas-de-Calais, grâce à un reliquat de 2005, Ile-de-France avec 290 720 euros), il est en effet difficile pour les FRAC de rivaliser avec les musées et les collectionneurs privés dans un marché de l’art contemporain euphorique. Si globalement les budgets sont revenus à un niveau normal en 2006, après une année 2005 difficile, le FRAC Poitou-Charentes a encore été tout simplement privé de budget d’acquisition. Pour leurs achats, le budget des FRAC n’excède pas souvent les 40 000 euros par œuvre, somme largement insuffisante pour se payer une peinture signée par certains des artistes rédacteurs d’un texte récent fustigeant implicitement la politique d’acquisition des FRAC, dans laquelle ils ne se reconnaissaient pas ! (L’Humanité, 5 mai 2007). Comment faire, donc, avec des budgets qui n’ont souvent pas été revalorisés depuis dix ans – alors que les valeurs d’assurance ont triplé – pour continuer à jouer un rôle ? Au FRAC Champagne-Ardenne, le moins bien doté d’entre tous, François Quintin, son directeur, a préféré échelonner sur trois ans l’achat d’une œuvre de Franz Ackermann d’un prix de 75 000 euros – certaines de ses peintures ont atteint le double aux États-Unis –, plutôt que de renoncer à cette opportunité à cause d’une coupe sombre dans son budget (lire le JdA n°234, 31 mars 2006, p. 19). « Cette peinture fait sens dans la collection, explique François Quintin, car pour Franz Ackermann, il s’est passé quelque chose lors de sa résidence à Reims. » Le FRAC est en effet spécialisé dans l’accueil des artistes en prélude à une exposition. Les œuvres produites à cette occasion bénéficient de l’aide du FRAC et peuvent ensuite être achetées à prix coûtant par l’institution. Faute de latitude financière, les directeurs de FRAC privilégient ainsi les solutions de traverse. Certains misent sur leur œil et repèrent des artistes avant que leur cote ne monte ou puisent dans le vivier étranger (FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur). Mais la plupart préfèrent sacrifier une ou deux années de budget pour s’offrir des pointures. D’autres parient aussi sur la thématique de la collection pour susciter des accointances.

Œuvres immatérielles
Ainsi du FRAC Centre, spécialisé dans l’architecture, qui échappe de fait plus facilement aux lois du marché, mais aussi du FRAC Lorraine, où Béatrice Josse acquiert des pièces non matérielles : contrats pluriannuels passés avec des artistes pour des visites guidées ou pour filmer, ad vitam aeternam, un des espaces du FRAC, œuvre de poussière… « Il s’agit de questionner ce qu’est l’art contemporain en repoussant les limites d’une collection, mais aussi d’accompagner les artistes en achetant des créations qui ne sont pas que des produits finis », explique sa directrice. Implanté à Corte et doté d’un budget annuel de près de 100 000 euros, le FRAC Corse s’est pour sa part spécialisé dans le rapport entre art, nature et territoire. Outre les acquisitions annuelles, le FRAC doit aussi patiemment reconstituer une partie de son fonds, disparu dans un incendie en 2001. Près de 95 % des 96 pièces seront ainsi remplacées d’ici 2008. « Certains artistes ont accepté de reproduire leur œuvre à l’identique. D’autres nous ont proposé une autre pièce d’un esprit similaire. Toutes sont acquises grâce aux indemnités versées par notre assureur », explique-t-on au FRAC. Indemnités qui ne tiennent pourtant pas compte de l’évolution de la cote de certains artistes, tels Giuseppe Penone ou Michelangelo Pistoletto. Les relations entretenues avec les artistes jouent donc souvent un rôle décisif pour obtenir des œuvres à bon prix et, rarement, contourner l’achat en galerie, plus onéreux (en général, les FRAC achètent pour moitié aux artistes et pour moitié en galerie). Malgré ces contraintes et si les FRAC n’achètent en moyenne qu’entre dix et vingt pièces par an, la diversité et la qualité sont au rendez-vous, comme l’illustre notre sélection (voir tableau).

Quelques exemples

FRAC Alsace
Sarkis, L’Atelier d’aquarelle dans l’eau, 2005, installation, 18 000 euros
Gianni Motti, « Higgs », À la recherche de l’anti-Motti, 2005, vidéo d’une performance, 20 000 euros

Budget total : 142 240 euros

FRAC Aquitaine
Paul Ritter, Grand Rideau, 2000, peinture aérosol sur tissu,
prix : non communiqué (n. c.)
Enna Chaton, Passages, 2005, vidéo, prix : n. c.
Budget total : n. c.

FRAC Auvergne
Frank Nitsche, UBS-2-2006, 2006, huile sur toile, 28 000 euros.
Luc Tuymans, Évidence, aquarelle sur papier, 26 375 euros.
Budget total : 110 600 euros

FRAC Basse-Normandie
Leo Fabrizio, 7 photographies, 2002, prix : n. c.
Philippe Mayaux, White War, 2005, vitrine avec objets en plâtre, prix : n. c.
Budget total : 111 320 euros

FRAC Bourgogne
Francis AlÁ¿s, Untitled, 2001, installation sonore et vidéo, prix : n. c.
Adrian Piper, Bach Whistled, 1970, pièce sonore, prix : n. c.
Budget total : n. c.

FRAC Bretagne
Silvia Bächli, Twelf, 2001, 16 gouaches sur papier, prix : n. c.
Didier Roth, ensemble de 22 affiches, 1969-1984, prix : n. c.
Budget total : 189 086 euros

FRAC Centre
Asymptote, Projet Hydrapier, Haarlemmermeer, Pays-Bas, 2001, 1 maquette, 15 dessins, 25 000 euros.
Graham Stevens, Desert Cloud, 1972-2004, structure gonflable, 15 000 euros.
Budget total : 145 000 euros

FRAC Champagne-Ardenne
Christian Lapie, Mon Ombre en attendant la pluie, 2005, gravure, prix : n. c.
Jean-François Texier, Boxing Queen, 2003, affiche, prix : n. c.
Budget total : 67 700 euros

FRAC Corse
François Curlet, Moonwalk, 2003, panneau de signalisation, diodes, poteau en acier laqué, 12 000 euros
Franck Scurti, Street Credibility, 1998, chaussures, lacets, cuir, carton, papier, verre, caoutchouc, feutre, 6 500 euros.
Budget total : 98 652 euros

FRAC Franche-Comté
Paul Pouvreau, Cabane, 2004, projection, lecteur DVD, 5 000 euros.
Bruno Serralongue, SMSI, Tunis, 2005, Ilfochrome contrecollé sur aluminium, 20 000 euros.
Budget total : 133 300 euros

FRAC Haute-Normandie
Fabrice Dubreuil, 17 impressions jets d’encre contrecollées sur aluminium, 2006, prix : n. c.
Budget total : n. c.

FRAC Ile-de-France
Michel Blazy, 3 sculptures, 2005, prix : n. c.
Bruno Peinado, 5 peintures, 2003-2006, prix : n. c.
Budget total : 290 720 euros

FRAC Languedoc-Roussillon
Gérard Collin-Thiébaut, photographies, prix : n. c.
Budget total : 187 495 euros

FRAC Limousin
Delphine Coindet, Mask, 2006, bois et métal, prix : n. c.
Alain Séchas, Volatile, 2003, tableau de néons animés, Plexiglas, prix : n. c.
Budget total : 128 400 euros

FRAC Lorraine
Roman Signer, plusieurs tirages numériques (1973-1980), prix : n. c.
Dominique Petitgand, La Cécité, 1997-2006, installation sonore, prix : n. c.
Budget total : 166 728 euros

FRAC Midi-Pyrénées
Depuis 2000, le FRAC Midi-Pyrénées a fusionné avec les Abattoirs, Musée d’art moderne et contemporain (Toulouse). Le budget annuel d’acquisition des Abattoirs s’élève à près de 1 million d’euros.

FRAC Nord-Pas-de-Calais
Pierre Ardouvin, Alles (C’est tout), 2005, wall drawing et installation, prix : n. c.
Ann Veronica Janssens, Stella, 2006, projecteurs et appareil à fumée, prix : n. c.
Budget total : 310 000 euros

FRAC Picardie
Gabriel Orozco, Sans titre, 2002, graphite sur terre pressée, prix : n. c.
Alain Bublex, 3 épreuves chromogènes sur aluminium, 2006, prix : n. c.
Budget total : n. c.

FRAC Poitou-Charentes
Aucune acquisition en 2006

FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur
Ceal Floyer, H20 Diptych, 2002, vidéo, prix : n. c.
Zineb Sedira, And the Road Goes on, 2005, vidéo, prix : n. c.
Budget total : 102 250 euros

FRAC Rhône-Alpes
Melik Ohanian, Invisible Film, 2005, vidéo, prix : n. c.
Gérard Amsellem, sept photographies (dont une donnée par l’artiste), 1969-1991, prix : n. c.
Budget total : n. c.

Les FRAC de la Martinique et de La Réunion ne nous ont pas communiqué d’informations.

Un FNAC bien mieux doté

Au Fonds national d’art contemporain (FNAC), acheter est une mission première. C’est la raison pour laquelle l’institution bénéficie d’un confortable budget d’acquisition annuel (3 millions d’euros, soit le double du Musée national d’art moderne). Elle agit dans tous les domaines : arts plastiques, photographie, arts décoratifs et design. De Le Corbusier à Veit Stratmann, plus de 120 artistes, 49 photographes et près de 35 designers ont ainsi eu, en 2006, les honneurs du FNAC. Avec son confortable budget, le FNAC peut se porter acquéreur sur tous les fronts, y compris à la FIAC où il a acquis 30 œuvres cette année (liste consultable sur www.cnap.fr).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°262 du 22 juin 2007, avec le titre suivant : De bien pauvres FRAC

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