Des disparités régionales

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 25 juillet 2007 - 1172 mots

Disposant de budgets sans commune mesure avec ceux des établissements publics, les musées en régions ont néanmoins procédé en 2006 à quelques belles acquisitions, notamment à Colmar, Lyon, Pau, Tours et Valence.

Par rapport aux imposants budgets d’acquisition des établissements parisiens, l’année 2006 a été moins dense pour l’enrichissement des collections en régions. Elle a, cela dit, connu quelques belles opérations, notamment au Musée des beaux-arts de Tours. Grâce au mécénat de PGA Holding, l’institution a pu faire entrer dans ses collections une œuvre classée trésor national : un Christ bénissant et une Vierge en oraison peints vers 1480. Ces deux panneaux, probablement conçus dès l’origine comme un diptyque, témoignent de la vitalité artistique de la ville au XVe siècle et de l’importance de l’École de Tours, dont le style mêle l’héritage de Fouquet et des innovations venues d’Italie ou des Pays-Bas. Ce type de peintures, dont beaucoup furent détruites durant les guerres de religions, se font rares sur le marché. L’opération est d’autant plus à saluer que la très grande majorité des œuvres classées trésor national a jusqu’à présent été réservée aux établissements publics ou aux musées de la capitale. Preuve que le mécénat peut aussi se faire à une moindre échelle : le Musée d’Unterlinden de Colmar a lancé une souscription locale pour l’acquisition de sept gravures de Martin Schongauer faisant partie d’une série de douze dédiée à la passion du Christ et dont l’institution possédait déjà quatre exemplaires. Pour réunir les 241 000 euros nécessaires, la société Schongauer (qui gère le musée) a bénéficié de l’aide de nombreux particuliers et de quelques entreprises, venus compléter le soutien du Fonds national du patrimoine et du Fonds régional d’acquisition des musées. Le Musée d’Unterlinden guette maintenant l’apparition sur le marché de la seule gravure manquante, Le Christ au Mont des Oliviers… C’est également grâce à la participation de deux entreprises locales (Dubly-Dhouilhet et la clinique Louis-Pasteur à Essey-lès-Nancy) que le Musée des beaux-arts de Nancy a pu entrer en possession d’une délicate Madeleine pénitente de Nicolas Chaperon (1612-1656), élève et disciple de Simon Vouet. Autre peintre français du XVIIe siècle à rejoindre les collections publiques en régions : Jacques Stella (1596-1657) dont le Musée des beaux-arts de Lyon a pu acheter deux œuvres dans le cadre de sa grande rétrospective consacrée au maître français (lire le JdA n°248, 1er décembre 2006). Sémiramis appelée au combat (1637) est un bel exemple de sa pratique de la peinture sur pierre dure, tandis que La Sainte Famille visitée par sainte Élisabeth, Zacharie et saint Jean-Baptiste ; Dieu le père, le Saint Esprit et des angelots portant les instruments témoigne de son traitement original de thèmes a priori classiques.
Notons, pour cette année écoulée, la situation particulière des musées de la Ville de Strasbourg dont les budgets d’acquisition ont été gelés suite à la « compensation financière » de 2,5 millions d’euros versée aux héritiers de Bertrand Altmann, industriel juif autrichien, spolié par les nazis, pour son tableau de Canaletto, Vue de l’église de la Salute depuis l’entrée du Grand Canal. Pour la première fois en France, un accord a pu être trouvé, conjuguant reconnaissance des droits à la succession et maintien de l’œuvre dans la collection. Le tableau avait été acquis par la municipalité en 1987 et fait partie de la très belle collection des peintres italiens (en particulier vénitiens) que possède le Musée des beaux-arts. Deux autres institutions ont pu enrichir leurs collections italiennes en 2006 : d’une part, la ville de Pau qui a acquis une importante toile de Simone Cantarini (1612-1648), Agar et l’Ange, venant compléter son ensemble pictural baroque italien, et, d’autre part, le Musée des Augustins, à Toulouse avec La Conversion de Saint Paul de Baciccio (lire p. 6). De son côté, la ville de Marseille a offert à son Musée des beaux-arts une étude du peintre, sculpteur et architecte Pierre Puget. Il s’agit d’un projet (daté et signé des commanditaires) pour le décor de la chapelle du Corpus Domini de la cathédrale de Toulon, décor qui fut sculpté en noyer et qui a disparu dans un incendie. Particulièrement gâté par sa ville, le Musée de Valence, qui vient de se lancer dans des travaux de rénovation après l’obtention de nouvelles réserves (lire le JdA n°256, 30 mars 2007), a doté ses collections d’une petite esquisse de Delacroix. De quoi faire des jaloux dans un paysage où les disparités sont criantes selon les autorités de tutelles.

Quelques exemples

Musée des beaux-arts de Tours Vierge en prière et Christ bénissant, attribué à l’École de Tours, vers 1480, diptyque, huile sur panneaux de bois, 700 000 euros (mécénat de PGA Holding) Musée d’Unterlinden, Colmar Martin Schongauer, ensemble de sept gravures datées entre 1475 et 1480 (L’Arrestation du Christ, Ecce homo, Le Christ devant Pilate, Le Portement de croix, La Crucifixion, Le Christ aux limbes et La Résurrection), 241 000 euros Musée de Valence Eugène Delacroix, Rocher, huile sur toile, 21 x 30 cm, 180 000 euros Musée des beaux-arts de Pau Simone Cantarini (1612-1648), Agar et l’Ange, huile sur toile, 171 000 euros Musée des beaux-arts de Lyon Jacques Stella (1596-1657), Sémiramis appelée au combat, 1637, huile sur ardoise, 150 000 euros p La Sainte Famille visitée par sainte Élisabeth, Zacharie et saint Jean-Baptiste ; Dieu le père, le Saint Esprit et des angelots portant les instruments, huile et or sur cuivre, 43 274 euros Musée des beaux-arts de Marseille Pierre Puget, projet pour le tabernacle de la Chapelle du Saint-Sacrement de la Cathédrale de Toulon, 1659, plume, encre brune, lavis brun, rehauts de blanc, 125 000 euros Musée d’art contemporain de Lyon Daniel Buren, Le temps d’une œuvre, 2005, 252 plaques de Plexiglas coulé, 496 tubes acier, 73 000 euros p Kader Attia, Fridges, 2006, 174 frigidaires polis, peinture aérosol noir, occupation au sol 1 950 x 910 cm, 61 000 euros p Erwin Wurm, Adorno was wrong with his idea about art, 2005, installation composée de 12 planches de bois peint, dessins et peinture argentée au sol, 40 000 euros Musée Cantini, Marseille Jean Fautrier, Sans titre, 1944, dessins à l’encre et fusain sur papier, 28 000 euros p Henri Matisse, Autoportrait au polo rayé et diverses études, 1906, plume et encre sur papier, 52 x 40 cm, feuille recto verso, 33 000 euros Musées de la ville de Strasbourg Canaletto, Vue de l’église de la Salute depuis l’entrée du Grand Canal (compensation financière à Monsieur Bertrand Altmann pour cette œuvre spoliée et vendue aux enchères par les nazis en 1938) Musée des Augustins, Toulouse Giovanni Battista Gaulli dit Baciccio (1639-1709), La Conversion de saint Paul, huile sur toile, 46,5 x 36,5, 75 000 euros Musée des beaux-arts de Nancy Nicolas Chaperon, Madeleine pénitente, vers 1635, huile sur toile, 50 000 euros (achat avec la participation de l’association Emmanuel Héré, du FRAM Lorraine, et le mécénat de la charge Dubly-Dhouilhet et de la clinique Louis-Pasteur à Essey-lès-Nancy) Musée départemental de l’Oise, Beauvais Alexandre-Gabriel Decamps (1803-1860), Lion avec saint Jérôme dans le désert, huile sur toile, 57 x 68 cm, 42 000 euros Musée des beaux-arts de Lille Carolus Duran, Le Pisan, buste, 1874, 31 500 euros

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°262 du 22 juin 2007, avec le titre suivant : Des disparités régionales

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