Art contemporain

PAROLES D’ARTISTE

Jimmie Durham : « J’aime la matière, simplement et fanatiquement »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 25 juillet 2007 - 814 mots

Après avoir bénéficié d’une résidence à l’Atelier Calder à Saché, en Touraine, Jimmie Durham propose deux expositions, à la galerie Michel Rein à Paris, et au château d’Oiron (Deux-Sèvres). Pour « Labyrinth », toutes les œuvres sont issues d’un arbre mort trouvé par l’artiste. Entretien.

Votre projet « Labyrinth » a commencé avec un hêtre tombé dans un parc après une tempête à Strasbourg…
Je travaillais là-bas avec le Centre Européen d’Actions Artistiques Contemporaines (CEEAC), et j’ai pensé que je pourrais l’avoir et l’utiliser. Nous l’avons transporté et fait découper en tranches, mais je n’avais pas d’idée au-delà de ça. Lors d’une exposition à la galerie du CEEAC en 2005, j’ai montré la pièce centrale du tronc associée à une sculpture en bois plus ancienne, un oiseau volant. Quand les morceaux de bois ont été débités, on a trouvé à l’intérieur des balles datant de la Seconde Guerre mondiale. Leur forme montrait qu’elles avaient heurté quelque chose avant de pénétrer le tronc, un corps humain évidemment.

Souhaitiez-vous faire parler ces pièces de bois, entamer une histoire avec elles ?
Ce que vous voyez à la galerie [Michel Rein] sont les plus petites pièces de bois, au château d’Oiron vous en verrez de plus grandes. J’ai seulement pensé que j’avais une sorte de responsabilité. J’utilise tous les matériaux, mais j’apprécie ceux qui sont trouvés, que je ne paye pas. Je n’aime pas le bric-à-brac, les marchés aux puces, car tous ces objets parlent trop, sans arrêt ! Je préfère qu’ils se taisent, restent mystérieux et ne confessent pas leur vie passée. C’est le contraire avec cet arbre, il parle de façon très importante, il avait une vraie histoire à raconter, la guerre, mais aussi des personnes mortes écrasées durant un concert dans le parc, le jour de la tempête, c’est fou ! Je ne parle pas de ça, mais c’est vraiment étrange.

Vous intéressez-vous à une poésie que vous pourriez trouver dans ces matériaux ?
Une sorte de poésie silencieuse je crois. Je n’aime pas l’art métaphorique ou illustratif, qui prend appui sur le texte, même si j’aime utiliser du texte dans l’art. Texte et objet vont de pair, mais ils ne s’illustrent pas l’un l’autre. Il y a toutefois quelque chose à propos de l’art poétique comme vous dites. Quand vous mettez des objets étranges ensemble, souvent la poésie commence. Pour moi c’est la même chose que d’associer des mots.

Vous avez écrit des phrases sur certaines œuvres. Que disent-elles ?
J’ai écrit ce que j’avais fait à la pièce, au sens le plus idiot. Je n’explique absolument pas pourquoi je l’ai fait.

Aimez-vous développer une esthétique brute ?
Je ne sais jamais ce qui m’intéresse. Je ne crois pas avoir une voie de pensée concernant l’esthétique. J’aime la matière, simplement et fanatiquement : cela peut être du plastique, du béton, ou autre chose. J’ai beaucoup travaillé avec des pierres que j’ai taillées comme des sculptures. Mais je ne sais pas comment y placer de l’esthétique et je ne veux pas y penser.

La manière dont la matière parle avec vous est donc une chose importante ?
Oui, très. C’est un peu étrange, mais je pense que c’est une chose commune, même si les gens n’en sont pas assez conscients. Je pense que nous sommes très affectés par les matériaux, inconsciemment.

Pourquoi avez-vous développé ce projet dans trois lieux et en trois temps ?
Quand on m’a offert de résider à l’Atelier Calder, Paul-Hervé Parsy m’a, au même moment, invité à venir voir le château d’Oiron et proposé d’y faire un projet. J’ai pensé qu’il serait intéressant de faire trois expositions dans des lieux pas si éloignés les uns des autres.

D’où vient l’intitulé du projet, « Labyrinth » ?
Je ne m’en souviens pas vraiment, mais j’ai commencé à y penser il y a peut-être deux ans. J’avais lu Bataille sur ces idées de labyrinthe et j’ai beaucoup réfléchi à la mythologie européenne, non pas à ses règles mais à ses plus vieilles histoires. Quand on songe au labyrinthe en Europe aujourd’hui, on le fait architecturalement. Ma principale connexion avec Bataille est l’anti-architecture, l’anti-monument.

Quand vous parlez « d’anti-architecture » s’agit-il de destruction, d’une autre forme de construction ou rien de tout cela ?
Peut-être rien de tout cela ? Il peut parfois y avoir une grande énergie dans la destruction quand elle signifie seulement un autre changement. Mais je n’aime pas la monumentalité, particulièrement dans l’art. Et la plupart de ce que nous avons dans l’art est monumental. Or, si je mets en berne ces monuments, je leur donne trop d’honneur. Je ne veux donc pas tuer les pierres des monuments, pas les détruire. Je veux aller ailleurs pour voir ce qui peut se passer.

JIMMIE DURHAM. LABYRINTH

Jusqu’au 28 juillet, Galerie Michel Rein, 42, rue de Turenne, 75003 Paris, tél. 01 42 72 68 13, www.mi chelrein.com, tlj sauf dimanche lundi 11h-19h. sDu 23 juin au 30 septembre, Château d’Oiron, 79100 Oiron, tél. 05 49 96 51 25, www.oiron.fr, tlj 10h30-18h.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°262 du 22 juin 2007, avec le titre suivant : Jimmie Durham

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