Palm Beach

Marie-Antoinette et les autres

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 24 juillet 2007 - 1009 mots

Faute d’une clientèle encline à l’achat, la foire de Palm Beach, organisée en Floride du 3 au 11 février, a affiché de faibles résultats commerciaux.

PALM BEACH - Faut-il participer à une foire pour vendre ou pour montrer la mesure de son talent ? Les deux mon capitaine ! Rares sont toutefois les marchands à résoudre cette tension, comme le montre la dernière édition de la foire Palm Beach, organisée du 3 au 11 février en Floride. Les grosses pointures tels Noortman (Maastricht) ou Steinitz (Paris) ont déçu, faute d’offrir un stand digne de leur réputation. Certains sont visiblement venus en traînant les pieds, ainsi Voena (Milan), Morretti (Florence, Londres, New York) et Toninelli (Monaco), dont l’accrochage commun se révélait paresseux. La plupart des marchands semblaient avoir réservé leurs munitions pour Tefaf Maastricht, prévue en mars. « Mais il ne faut pas se leurrer, il y aura de moins en moins de chefs-d’œuvre, même dans les grandes foires », affirme Olivier Delvaille (Paris).
À la critique portant sur la faiblesse des œuvres exposées, les marchands rétorquent qu’il est difficile de forcer le courant. Mais pourquoi des visiteurs, de l’avis général, connaisseurs et sophistiqués, succomberaient-ils en vacances à des pièces anecdotiques ? La réplique est donnée par le paysagiste Mario Nivera : « C’est une communauté balnéaire, qui passe beaucoup plus de temps en extérieur que dans la maison. Tout n’est que loisir. » Une ambiance tout à la fois légère et conservatrice qui explique la déferlante d’œuvres postimpressionnistes sur le salon. L’envolée récente des prix d’Henri Le Sidaner a fait sortir du bois quelques pièces. On a pu voir de l’artiste une Maison sous l’église pour 780 000 dollars (600 460 euros) chez Guarisco Gallery (Washington), La Place de la Concorde illuminée pour 575 000 dollars chez Anderson (Beverly Hills) et enfin L’Église de Dolceacqua, Italie pour 380 000 dollars chez Olivier Delvaille.

Modigliani trop cher
La légèreté virait au dilettantisme chez Whitford (Londres), lequel présentait des toiles imprimées de Picasso et des fontes moyennes de Diego Giacometti. La « déco » accuse toutefois ses limites. Si JGM. (Paris) a cédé sans coup férir les meubles animaliers du couple Lalanne, il eut maille à partir avec le vetting [commission d’expertise] pour sa gigantesque cariatide de Modigliani, fonte récente réalisée avec l’aval de la petite-fille de l’artiste. Les experts ne l’ont pas entendu de cette oreille et lui ont interdit de vendre une pièce pour laquelle il exigeait la somme corsée de 2,2 millions de dollars.
Face à l’effritement des spécialités traditionnelles, les disciplines pointues comme la sculpture, l’archéologie ou encore l’« Americana » sortaient du lot. Cazeau-Béraudière (Paris) a offert pour sa part un feu d’artifice dominé par quatre pièces de la très rare Susan Rothenberg et une sculpture de David Smith. Mention spéciale aussi pour Emmanuel Javogue (Miami) et ses Dubuffet. Les amateurs ont encore pu saliver devant l’exposition non commerciale de splendides œuvres d’art russe prêtées par Boris et Olga Stavroski. Les New-Yorkais Jack Kilgore et Otto Naumann détenaient quant à eux la palme pour l’art ancien, avec une Charité de Vincent Sellaer, magnifique témoignage du maniérisme hollandais, et une œuvre datant des débuts de la carrière de Jean-Léon Gérôme. La beauté des pièces n’a pas fait mouche. Les transactions ont été lentes, pour ne pas dire inexistantes chez nombre d’exposants, exception faite d’un Pierre Dumonteil (Paris) ou d’un Emmanuel Javogue, lequel a vendu une œuvre par jour. La mollesse commerciale fait souvent le lit des crispations. Lors du vernissage, certains ont grimacé face à l’assiduité de l’antiquaire parisien Michael Kramer, venu convoyer les sièges que sa famille avait prêtés pour l’exposition « Marie-Antoinette » organisée par le salon. Le jeune marchand a pu ainsi multiplier les contacts à peu de frais par rapport aux exposants. Face à l’atonie ambiante, certains, comme Konrad Bernheimer (Munich, Londres), avaient prévu d’envoyer directement à Maastricht leurs invendus. Les marathoniens des salons feront sans doute la moue devant les redites qui s’annoncent à Tefaf. Mais Palm Beach n’étant pas une destination fair (une foire pour laquelle les collectionneurs font exprès le voyage), les visiteurs en majorité européens à Maastricht n’auront guère fait le déplacement jusqu’en Floride. Malgré sa bonne volonté, le directeur du salon, Michael Mezzatesta, doit trouver d’autres hameçons que ses pilules pédagogiques pour attirer le chaland. Car une exposition sur un salon, comme « Marie-Antoinette », ne peut qu’être une cerise sur le gâteau. Et non le gâteau lui-même.

Elayne et Marvin Mordes, des ovnis à Palm Beach

Marvin Mordes, professeur en neurologie, et sa femme Elayne tordent le coup à l’idée que seuls les millionnaires peuvent s’offrir de l’art contemporain. Sans doute parce que leur collection, d’un goût très européen, s’est constituée en marge des blockbusters américains, sous l’influence initialement de quelques collectionneurs belges. Après un premier achat en 1976 d’un Mark Tobey, il leur faudra dix ans d’apprentissage avant de faire le plein à la Documenta de 1985, à Cassel, en emportant Günther Förg, Imi Knöbel et Markus Lupertz. Pour acheter une pièce de Joseph Kosuth, ils vont jusqu’à hypothéquer leur résidence. « Nous nous sommes aussi intéressés à des artistes américains qui avaient plutôt une audience en Europe, indique Marvin Mordes. Nous nous sentions mieux avec les galeries européennes, qui nous semblaient plus sincères au sujet des artistes, plus désireuses d’informer. La vente n’était pas leur but ultime. » Le couple a aussi noué des relations très intimes avec certains créateurs, notamment feu Juan Muñoz, duquel il possède une dizaine de pièces, ou Gilbert & George. Sa collection de 500 pièces, dominée par la sculpture, laisse entrevoir une cinquantaine de vidéos, notamment d’Isaac Julien et de Hans Op de Beeck. Depuis mai 2005, les Mordes se sont installés à Palm Beach dans un ancien entrepôt, divisé entre une partie « domestique » et une autre plus muséale dédiée aux œuvres volumineuses. L’accrochage, en rotation tous les cinq mois, fait actuellement la part belle à Jonathan Meese et à Ernesto Neto. Un esprit visiblement plus proche du collectionneur de Miami Martin Z. Margulies que des conservateurs de Palm Beach.

Ruth et Ted Baum, honneur au « post-war »

En pénétrant dans la résidence des Baum, le visiteur mesure le hiatus fréquent aux États-Unis entre le contenant et le contenu. Leur très bel ensemble de post-war (après-guerre), composé d’œuvres parfois rugueuses d’Ed Kienholz ou de Richard Hamilton, tranche avec le confort aseptisé, à la limite du kitsch, de leur villa de Palm Beach (Floride). Dans les années 1960, les Baum achètent d’abord des dessins et du mobilier anglais, deux ensembles qu’ils revendront par la suite. « Nous avions acquis le Portrait d’Edith par Schiele pour 25 000 dollars. On l’a revendu pour 400 000 dollars », s’étonne encore Ted Baum. En 1983, ils changent de cap en emportant pour 100 000 dollars un tableau de Mark Rothko. Depuis, le couple s’est bâti une collection riche de 200 œuvres dont un petit noyau Arte povera avec Alberto Burri, Michelangelo Pistoletto et Mario Merz. Leur œil s’est affiné jusqu’à former de subtils rapprochements comme celui effectué entre un Piero Manzoni de 1962 constitué de plumes synthétiques, un Manolo Millares de 1957 et un Marcel Broodthaers de 1965. Les Baum sillonnent les grandes foires : Art Basel, où ils ont déniché en juin une œuvre murale de Tony Cragg, ou encore Maastricht, où ils ont acquis en mars 2006 un Yves Klein chez Cazeau-Béraudière (Paris). Ils ont aussi décroché le pastiche par Warhol du Cri de Munch chez Sotheby’s en juin 2006. Le couple se laisse aujourd’hui porter par un art plus conceptuel, de James Lee Byars à Michal Rovner en passant par Jenny Holzer. Bien intégrés dans le creuset sélect de Palm Beach, les Baum ne s’y confondent toutefois pas complètement. Une de leurs amies, qui avait pris le Carl Andre déployé dans le salon pour un échantillon de dallage métallique, leur avait ainsi conseillé de revenir au bon vieux parquet en bois !

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°253 du 16 février 2007, avec le titre suivant : Marie-Antoinette et les autres

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