Heurts et malheurs d’un projet

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 20 juillet 2007 - 856 mots

Projet mal aimé, la Cité de l’architecture et du patrimoine, au Palais de Chaillot, n’ouvrira dans son intégralité qu’en septembre, après une succession de retards. Retour sur une histoire mouvementée.

Qui inaugurera, à l’automne prochain à Paris, la Cité de l’architecture et du patrimoine (CAPA) ? L’incertitude est inévitablement liée aux prochaines échéances électorales. Toutefois, contrairement à la quasi-totalité des grands chantiers, traditionnellement soutenus par un mentor, nul ne revendique ouvertement la paternité de ce premier grand musée d’architecture français. Désamour pour son sujet, l’architecture ? Désaveu pour un chantier interminable et coûteux comme pour un projet culturel mal ficelé ? Probablement. Car si le public ne peut que se réjouir de pouvoir à nouveau pénétrer dans les vastes galeries du Palais de Chaillot, les innombrables aléas de l’histoire de la Cité auront immanquablement affecté son contenu.
Lancé en 1995, le projet de « Centre national du patrimoine » s’est en effet mué, au fil du temps, en un vaste complexe tentant d’associer maladroitement patrimoine et création architecturale. Héritier du Musée de sculpture comparée de Viollet-le-Duc ouvert en 1882, le Musée des monuments français (MMF) sombre lentement dans l’oubli à l’intérieur de l’enceinte du Palais de Chaillot. L’idée d’un « Centre national du patrimoine » vise alors à dynamiser cet établissement détenteur d’une collection surannée de moulages de fragments architectoniques – portails médiévaux et sculptures monumentales de la Renaissance. Si ce fonds possédait une valeur didactique au XIXe siècle, il peine à l’époque contemporaine à prouver son utilité. Associé au Centre des hautes études de Chaillot (Cedhec), qui forme les architectes du patrimoine, le Centre national du patrimoine doit constituer le fer de lance d’un établissement valorisant le patrimoine national. En 1997, la vétusté des installations électriques provoque l’embrasement du musée.

« Habit d’Arlequin »
Si les collections sont sauves, le projet est retardé, avant d’être « retoqué » un an plus tard, quand architecture et patrimoine sont réunis au sein d’une même direction au ministère de la Culture. Jean-Louis Cohen, architecte et historien de l’architecture, est alors investi d’une mission d’étude visant à faire du projet une vitrine pour la nouvelle direction de l’Architecture et du Patrimoine (DAPA). L’Institut français d’architecture (IFA), producteur de programmes destinés à la valorisation et à la connaissance de la création architecturale contemporaine, sera donc associé au MMF et au Cedhec dans une Cité de l’architecture et du patrimoine destinée à la sensibilisation du grand public. Celle-ci doit proposer un parcours historique consacré à l’architecture en France, intégrant les collections du MMF et se poursuivant par une galerie moderne et contemporaine qui évoque de manière thématique l’architecture en France de 1850 à nos jours. Quitte à faire un grand saut par-dessus les XVIIe et XVIIIe siècles, pourtant décisifs dans l’histoire de l’architecture française. Une bibliothèque spécialisée dans l’architecture des XXe et XXIe siècles et les politiques et techniques du patrimoine est par ailleurs mise sur pied. Malgré ses faiblesses, le projet est soutenu par le ministre de la Culture et de la Communication de l’époque, Catherine Tasca. Ce ne sera pas le cas avec son successeur, Jean-Jacques Aillagon, ouvertement hostile à la Cité, ce qui provoque une série de démissions en chaîne au sein de l’équipe de préfiguration qui s’achève par la mise à l’écart de Jean-Louis Cohen. Une situation aussi instable ne se révèle guère favorable à un projet dont les travaux, démarrés en 2003, s’enlisent. Le maître d’œuvre, Jean-François Bodin, rescapé du programme de 1995, doit à plusieurs reprises amender sa copie, au gré de l’évolution du concept.
En 2004, la création d’un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), ainsi que la nomination de son président, François de Mazières (lire p. 17), donne un nouvel élan à la Cité. Inspecteur des Finances et ancien conseiller du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, cet énarque défend bec et ongles l’établissement – quitte à en admettre les faiblesses – afin d’obtenir les arbitrages nécessaires au financement de l’achèvement des travaux. Pour cela, il aura fallu revoir une partie du projet architectural, mais aussi rogner sur le budget d’acquisition de la galerie moderne et contemporaine. Les collections de cette dernière puisent en majorité dans les archives de l’ancien IFA, riches mais insuffisantes pour tisser un fil historique logique et cohérent. Le musée d’architecture que le public découvrira en septembre aura donc, pour paraphraser Viollet-le-Duc dont le fantôme hante encore les lieux, l’apparence d’un établissement mal conçu, constitué de « haillons cousus ensemble comme les pièces d’un habit d’Arlequin ». Gageons que le temps ainsi qu’une solide programmation lui procureront son unité.

La Cité en chiffres

- Maîtrise d’ouvrage déléguée : Établissement de maîtrise d’ouvrage des travaux culturels (EMOC) - Maître d’œuvre général : Jean-François Bodin - Maître d’œuvre de la galerie moderne et contemporaine : Gao idees i projectes - Maître d’œuvre des façades et des toitures : Jean-François Lagneau, architecte en chef des Monuments historiques - Surface totale : 21 706 m2 utiles dont 8 000 m2 d’expositions permanentes et 3 000 m2 de galeries d’expositions temporaires - Budget global des travaux : 75 millions d’euros - Budget de fonctionnement de l’établissement : 14 millions d’euros, dont 5 millions en ressources propres

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°255 du 16 mars 2007, avec le titre suivant : Heurts et malheurs d’un projet

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