Boulogne-Billancourt

100 millions pour oublier Pinault

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 19 juillet 2007 - 811 mots

L’association de préfiguration du futur Centre européen de création contemporaine
mise sur une « démocratie participative » pour peaufiner son projet.

PARIS - En politique, il est fréquent de mettre la charrue avant les bœufs. En d’autres termes, annoncer des chantiers sans en avoir affiné le contenu. Il en va ainsi du futur Centre européen de création contemporaine prévu sur l’île Seguin, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), annoncé une première fois en octobre 2005 par le Premier ministre Dominique de Villepin, puis confirmé en octobre dernier par le ministre de la Culture. Entre-temps, un comité d’experts avait été chargé d’apporter des solutions pour remplir le trapèze laissé vacant par la défection du collectionneur François Pinault. Un premier projet, baptisé l’Île Majeure, avait même été déposé par le commissaire indépendant Jean de Loisy. Celui-ci préconisait un lieu d’assistance technique aux artistes et un espace pour accueillir les grandes installations. Aujourd’hui, l’association de préfiguration de ce site présidée par Daniel Janicot reprend le flambeau. Pour inventer le contenu, l’association compte auditionner au printemps des experts français et étrangers. Une sorte de « démocratie participative », puisque la notion est dans l’air du temps ! Avec l’espoir que de l’expertise des uns et des autres jaillisse un projet cohérent. Celui-ci serait alors éprouvé en juin lors des Assises de l’Île Seguin, puis transmis une fois peaufiné aux autorités de tutelle.

Un projet en question -
En quoi consiste pour l’heure ce projet, étendu sur 25 000 m2 et dont le budget de 100 millions d’euros se partage entre l’État (50 %), le département des Hauts-de-Seine (40 %) et la commune (10 %) ? « Il s’agit d’un lieu consacré à différents domaines de la culture contemporaine, un ensemble qui doit accueillir, montrer et soutenir les artistes, leur permettre de produire, expérimenter et réfléchir, un lieu aussi de pédagogie », égrène Daniel Janicot. Un vaste programme qui, dans le rapport émis en février 2006 par Michel Enrici et Jean-Marc Zuretti, devait s’articuler entre un bâtiment outil, inspiré des Grands Ateliers de l’Isle d’Abeau, un lieu d’exposition d’œuvres monumentales, sur le modèle de la Turbine Hall de la Tate Modern à Londres ou du Magasin à Grenoble, le tout dans un jardin « expérimental » de 13 000 m2 empruntant au Louisiana Museum, à Humlebaek, au Danemark. Le projet prévoyait aussi un pôle enseignement et recherche regroupant des études doctorales et des troisièmes cycles de l’École nationale supérieure des arts décoratifs (Ensad), de l’École nationale supérieure des beaux-arts (Ensba) et de l’École nationale supérieure de création industrielle (Ensci). Plus qu’un bâtiment-outil d’un seul tenant, on tendrait plutôt aujourd’hui vers une série de structures. « Je ne suis pas certain que les bâtiments doivent être coulés dans le marbre pour l’éternité, précise Daniel Janicot. Il faut des bâtiments légers, qui tiennent le coup entre 10 et 15 ans sur le modèle peut-être du Temporary Contemporary de Frank Gehry pour le MOCA de Los Angeles, car on ne sait pas ce que sera la création de demain. » Le concours d’architecture devrait être lancé en 2008 pour une livraison vers 2011. Quant à la forme juridique, elle pourrait relever soit d’une fondation, comme annoncé par Dominique de Villepin en 2005, soit d’un Établissement public de coopération culturelle (EPCC).
L’accès à l’île se fera par le pont Marc Barani, en cours de fabrication en Belgique et dont l’installation est prévue à partir du mois de juin, ainsi que par une passerelle dessinée par le Studio Bernarski. Des points d’escales pour Batobus sont aussi au programme.
Reste à voir si ce projet coûteux ne fera pas les frais des élections présidentielles. D’autant plus que l’État, convoqué à hauteur de 50 millions d’euros, s’est aussi lancé dans d’autres dépenses, comme la réhabilitation du Palais de Tokyo chiffrée entre 10 et 35 millions d’euros, ou celle du Grand Palais, dans laquelle elle devrait aussi injecter quelque 50 millions d’euros. Dans le maigre programme culturel de sa campagne présidentielle, le président du conseil général des Hauts-de-Seine, Nicolas Sarkozy, semble surtout attaché à la gratuité des musées nationaux, idée évaluée à 150 millions d’euros. « Le projet du centre de création a certes été porté par le ministère, mais Nicolas Sarkozy s’est lui-même engagé et avait présidé la dernière réunion du comité d’experts en avril 2006, défend Jean-Louis Subileau, directeur délégué de la SAEM Val de Seine. Si Nicolas Sarkozy est élu, je ne vois pas pourquoi il ne le soutiendrait pas alors qu’il l’a fait en tant que président du conseil général. » Et de préciser que le projet est suffisamment solide pour que la SAEM ait signé le 22 février une promesse d’achat pour les 2,5 hectares de la pointe en aval de l’Île Seguin. « Je suis optimiste. Je ne fais pas de politique-fiction, déclare pour sa part Daniel Janicot. Après l’affaire Pinault, la France ne peut pas encore hésiter concernant l’Île Seguin. »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°254 du 2 mars 2007, avec le titre suivant : 100 millions pour oublier Pinault

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