Histoire

Le choc des photos

Le Journal des Arts

Le 18 juillet 2007 - 615 mots

Le Jeu de paume à Paris mène une réflexion subtile sur le rôle de l’image dans l’écriture de l’histoire, de la guerre de Crimée aux attentats du 11-Septembre.

 PARIS - Deux avions s’encastrant dans les tours du World Trade Center, une ruine émergeant d’opaques nuages de fumée, trois pompiers hissant le drapeau américain sur les décombres des célèbres gratte-ciel new-yorkais… Paradoxalement, si les attentats du 11-Septembre ont probablement été l’événement le plus filmé et le plus photographié de l’histoire des médias, seul un nombre restreint d’images ont circulé sur le sujet. En témoignent les couvertures des magazines alignées sur les cimaises du Jeu de paume, à Paris. Installées aux côtés d’écrans diffusant en boucle les flashs des journaux télévisés, elles mettent en évidence l’effet de répétition médiatique auquel fut soumis cet épisode tragique. Au centre du dispositif : une reconstitution en version réduite de l’exposition « Here is New York. A democracy of Photography ». Organisée dans les jours qui ont suivi les attentats, la présentation réunissait au cœur de SoHo, à quelques blocs du World Trade Center, de nombreuses photographies prises par des amateurs et professionnels, dont les clichés ont été numérisés, triés, puis vendus au profit d’une association caritative après exposition. Cette opération démocratique apparaît ici comme une alternative intéressante à la vision uniformisée de l’événement, à un moment où le marché de la photographie de presse est dominé par le monopole de quelques grandes agences.
À travers le cas exemplaire du 11-Septembre, et quelques autres, le Jeu de paume s’interroge sur la manière dont le fait historique est déterminé par les médias. Loin de s’en tenir à l’illustration pure et simple des événements, l’institution parisienne montre comment leur image les inscrit dans une
culture visuelle et joue un rôle essentiel dans la reconnaissance de leur existence. Et ce, dès le XIXe siècle, ainsi qu’en atteste la couverture de la guerre de Crimée (1854-1856). À cette époque se multiplient les moyens visuels pour relater l’actualité. Tableaux d’histoire, mais aussi croquis, estampes, photographies et journaux illustrés permettent de cerner sous différents angles le conflit opposant la Russie à la Turquie, alliée à la France et à l’Angleterre.
Le parcours évoque également la conquête de l’air et les exploits aéronautiques de l’été 1909 pour établir un parallèle entre information et spectacle. Le visiteur perçoit par ailleurs de quelle façon l’avènement des congés payés servit à élaborer un mythe politique à travers une imagerie positive. Enfin, la chute du mur de Berlin illustre la manière dont l’histoire est vécue en direct. Les médias ont érigé la nuit du 9 novembre 1989 et les semaines qui suivirent en référence symbolique, tandis que les foules berlinoises défilaient devant les caméras de télévision et objectifs des photographes du monde entier. « L’événement arrête temporairement le cours de l’histoire, il pousse à une réorganisation de la compréhension du monde dont le travail peut être long, explique dans l’un des textes du catalogue Michel Poivert, commissaire de l’exposition. L’événement nécessite, pour exister pleinement dans une culture, un temps d’adaptation des représentations à ce qu’il produit en nous. Avons-nous rétabli une vision rationnelle de l’histoire depuis la Seconde Guerre mondiale ? Le fameux travail de mémoire n’est-il pas le symptôme d’un événement en cours de digestion ? » Autant d’interrogations que soulève un parcours subtil et complexe, provoquant une réflexion sur les faits et leurs représentations, à l’heure du « tout médiatique » et de la globalisation.

L’ÉVÉNEMENT, LES IMAGES COMME ACTEURS DE L’HISTOIRE

Jusqu’au 1er avril, Jeu de paume – site Concorde, 1, place de la Concorde, 75008 Paris, tél. 01 47 03 12 50, mardi-vendredi 12h-19h, mardi jusqu’à 21h, samedi-dimanche 10h-19h, www.jeu depaume.org. Catalogue, éd. Hazan, 192 p., 30 euros, ISBN 978-2-7541-0148-6.

L’ÉVÉNEMENT

- Commissaire général : Régis Durand - Commissaire de l’exposition : Michel Poivert, historien de la photographie - Commissaires associés : Clément Chéroux, Marie Chominot, Thierry Gervais, Godehard Janzing

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°253 du 16 février 2007, avec le titre suivant : Le choc des photos

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